la lettre de Jo a été pour moi réellement comme un évangile, une délivrance d’angoisse que m’avaient causée les heures un peu difficiles & laborieuses pour nous tous que j’ai partagées avec vous.–1 C’est pas peu de chôse lorsque tous ensemble nous sentons le pain quotidien en danger, pas peu de chôse lorsque pour d’autres causes que celle là aussi nous sentons notre existence fragile.2
Revenu ici3 je me suis senti moi aussi encore bien attristé et avais continué à sentir peser sur moi aussi l’orage qui vous menace. Qu’y faire – voyez vous je cherche d’habitude à être de bonne humeur assez mais ma vie à moi aussi est attaquée à la racine même, mon pas aussi est chancelant. J’ai craint – pas tout à fait – mais un peu pourtant – que je vous étais redoutable étant à votre charge – mais la lettre de Jo me prouve clairement que
1v:2 vous sentez bien que pour ma part je suis en travail et peine comme vous.
Là – revenu ici je me suis remis au travail – le pinceau pourtant me tombant presque des mains et – sachant bien ce que je voulais j’ai encore depuis peint trois grandes toiles. Ce sont d’immenses étendues de blés sous des ciels troublés et je ne me suis pas gêné pour chercher à exprimer de la tristesse, de la solitude extrême.4 Vous verrez cela j’espère sous peu – car j’espère vous les apporter à Paris le plus tôt possible puisque je croirais presque que ces toiles vous diront ce que je ne sais dire en paroles, ce que je vois de sain et de fortifiant dans la campagne.
Maintenant la troisieme toile est le jardin de
1v:3 Daubigny, tableau que je méditais depuis que je suis ici.–5
J’espère de tout mon coeur que le voyage projeté puisse vous procurer un peu de distraction.6
Souvent je pense au petit, je crois que certes c’est mieux d’élever des enfants que de donner toute sa force nerveuse à faire des tableaux mais que voulez vous, je suis moi maintenant, au moins me sens, trop vieux pour revenir sur des pas ou pour avoir envie d’autre chôse. Cette envie m’a passée quoique la douleur morale m’en reste.
Je regrette beaucoup de ne pas avoir revu Guillaumin mais cela me fait plaisir qu’il aie vu mes toiles.
Si je l’avais attendu j’aurais probablement resté à causer
1r:4 avec lui de façon à perdre mon train.
Vous soushaitant de la chance et bon courage et prosperité relative, je vous prie de dire une fois à la mère et à la soeur que je pense à elles bien souvent, d’ailleurs j’ai ce matin une lettre d’elles et répondrai sous peu.
Poignées de main en pensée.
t. à v.
Vincent
mon argent ne me durera pas bien longtemps cette fois ci, ayant à mon retour eu à payer les frais de bagages d’Arles.7 Je garde de ce voyage à Paris de bien bons souvenirs. il y a quelques mois j’osais peu esperer revoir encore les amis. j’ai trouvé bien du talent à cette dame hollandaise.8
Le tableau de Lautrec, portrait de musicienne, est bien etonnant, je l’ai vu avec émotion.9