1r:1
Mon cher Theo & chère Jo.
je viens de recevoir la lettre dans laquelle tu dis que l’enfant est malade;1 je voudrais bien venir vous voir et ce qui me retient c’est la pensée que je serais encore plus impuissant que vous autres dans le cas donné de chagrin. Mais je sens combien cela doit être très éreintant et voudrais pouvoir donner un coup de main. En venant de but en blanc je crains d’augmenter la confusion. De tout mon coeur je partage vos inquiétudes pourtant. C’est bien dommage que chez M. Gachet la maison est si encombrée de toutes sortes de chôses.– Sans cela je crois que ce serait un bon plan de venir loger ici – chez lui – avec le petit, au moins pour un bon mois – je crois que l’air de campagne fait enormément de l’effet. Dans la rue ici il y a des gosses nés à Paris et réellement maladifs – qui pourtant vont bien. Venir ici à l’auberge se pourrait aussi, c’est vrai. Pour que tu ne sois pas trop seul je pourrais moi venir chez toi pour une semaine ou quinzaine.
Cela n’augmenterait pas les dépenses.– Pour le petit, vrai je commence à craindre qu’il faudra lui donner de l’air et surtout le petit va et vient des autres enfants d’un village. Sûr, Jo aussi qui partage nos inquietudes et hasards je crois que de temps en temps il lui faut prendre cette distraction de la campagne.
Une lettre de Gauguin assez mélancolique,2 il parle vaguement d’etre bien décidé pour Madagascar mais si vaguement qu’on voit bien qu’il ne pense à cela que parce qu’il ne sait réellement pas à quoi d’autre penser. Et l’exécution du plan me parait presqu’absurde.
 1v:2 [sketch A]
[sketch B]
[sketch C]
 1v:3
Voici trois croquis – l’une d’une figure de paysanne, grand chapeau jaune avec un noeud de rubans bleu céleste, visage très rouge. caraco gros bleu à pointillé orangé, fond d’epis de blé.
C’est une toile de 30 mais c’est bien un peu grossier je crains.–3 Puis le paysage en longueur avec les champs, un motif comme serait de Michel – mais alors la coloration est vert tendre, jaune et bleu vert.4 Puis un sous bois, des troncs de peupliers violets qui perpendiculairement comme des colonnes traversent le paysage. la profondeur du sous bois est bleue et sous les grands troncs la prairie fleurie, blanche, rose, jaune, verte, longues herbes roussies et fleurs.5
Les gens d’ici à l’auberge ont restéa dans le temps à Paris; là ils etaient constamment indisposés, parents et enfants, ici ils n’ont jamais rien du tout et surtout pas le plus petit qui est venu quand il avait 2 mois et alors la mère avait du mal pour y donner à téter tandis qu’ici presqu’aussitôt tout cela est allé bien.6 D’un autre côté toi tu travailles toute la journée et à présent probablement ne dors tu guère. Je croirais volontiers que Jo aurait deux fois plus de lait ici et qu’alors qu’elleb viendrait ici on pourrait se passer des vaches, ânes & autres quadrupèdes. Et pour Jo, pour que dans la journée elle aie de la compagnie ma foi elle pourrait encore aller loger juste en face de chez le père Gachet, peutetre te rappelles tu qu’il y a une auberge juste en face en bas de la pente.7
 1r:4
Que veux tu que je dise quant à l’avenir peutêtre peut-être sans les Boussod.–
Ce sera comme ce sera, tu ne t’es pas épargné du mal pour eux, tu leur as servi avec une fidelité exemplaire tout le temps.
Je cherche moi à faire aussi bien que je peux mais ne te cache pas que je n’ose guere y compter d’avoir toujours la santé nécessaire.
Et si mon mal revenait tu m’excuserais, j’aime encore beaucoup l’art et la vie mais quant à jamais avoir une femme à moi je n’y crois pas très fort. Je crains plutôt que vers mettons la quarantaine – mais ne mettons rien – je déclare ignorer, mais absolument absolument, quelle tournure cela puisse encore prendre.
Mais je t’écris de suite que pour le petit je crois qu’il ne faut pas t’inquieter outre mesure; si c’est qu’il fait ses dents, eh bien pour lui faciliter la besogne peutêtre pourrait on le distraire davantage ici où il y a des enfants, des bêtes, des fleurs et du bon air.
Je vous serre bien la main à toi et à Jo en pensée et embrasse le petit.

t. à v.
Vincent

merci de l’envoi de couleurs, du billet de 50 fr. et de l’article sur les Indépendants.8

Il viendra probablement te voir un Anglais, australien, nommé Walpole Brooke, demeurant 16 Rue de la grande chaumière – je lui ai dit que tu lui indiquerais une heure où il pourrait venir voir mes toiles qui sont chez toi.9
Il te montrera probablement de ses études, qui sont encore assez ternes mais il observe pourtant la nature. Il a été ici à Auvers durant des mois et nous sortions quelquefois ensemble. il a été elévé au Japon, on ne le dirait pas en voyant sa peinture – mais cela pourrait venir.

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