1*j’ajoute quelques mots pour 2toi à la lettre de la mère. Dimanche 3dernier j’ai eu la visite de Theo et de sa 4famille,1 je trouve fort agreable d’être moins 5éloigné d’eux. De ces jours ci je travaille 6beaucoup et vite; ainsi faisant je cherche 7à exprimer le passage désespérément 8rapide des chôses dans la vie moderne.
9Hier dans la pluie j’ai peint un grand paysage 10où l’on aperçoit des champs à perte de vue 11vus d’une hauteur/ des verdures différentes/ 12un champ de pommes de terre vert sombre/ 13entre les plants réguliers la terre grasse et violette, 14un champ de pois en fleur blanchissant à côté, 15un champ de luzerne à fleurs roses avec une 16figurine de faucheur, un champ d’herbe 17longue et mûre d’un ton fauve/ puis 18des blés/ des peupliers/ une derniere ligne 19de collines bleues à l’horizon au bas desquelles 20un train passe/ laissant derrière soi dans 21la verdure une immense traînée de blanche 22fumée. Une route blanche traverse 23la toile_ Sur la route une petite voiture 24et des maisons blanches à toits rouge cru au bord de 25cette route. De la pluie fine raye le 26tout de lignes bleues ou grises_2
27il y a un autre paysage avec de la 28vigne et des prairies au premier plan/ 29les toits du village venant après.3
30Et encore un avec rien qu’un champ vert 31de froment qui s’étend jusqu’à une 32villa blanche entourée d’un mur blanc 33avec un seul arbre_4
34J’ai fait le portrait de M. Gachet avec 35une expression de mélancolie qui souvent 36à ceux qui regarderaient la toile pourrait 37paraître une grimace_5 Et pourtant c’est 38ça qu’il faudrait peindre parcequ’alors on peut 39se rendre compte combien/ en comparaison des portraits 40calmes anciens/ il y a de l’expression dans nos 41têtes actuelles et de la passion et comme de l’attente 42et comme un cri. Triste mais doux mais 43clair et intelligent/ ainsi faudrait il en faire 44beaucoup de portraits/ cela ferait encore un certain 45effet à des moments sur les gens.
46Il y a des têtes modernes que l’on regardera 47encore longtemps/ qu’on regrettera peutêtre 48cent ans après. Si j’avais dix ans de moins/ 49avec ce que je sais maintenant/ comme j’aurais 50de l’ambition pour travailler à cela. Dans les 51conditions données je ne peux pas grand 52chôse/ je ne fréquente ni ne saurais fréquenter assez 53la sorte de gens que je voudrais influencer_
54J’espère bien faire ton portrait à toi un jour_ 55Je suis bien curieux d’avoir une nouvelle lettre 56de toi/ à bientot j’espère, en pensée je 57t’embrasse bien.