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Mon cher Theo, ma chère Jo,
merci de ta lettre que j’ai reçue ce matin1 et des cinquante francs qui s’y trouvaient.
Aujourd’hui j’ai revu le Dr Gachet et je vais peindre chez lui Mardi matin puis je dinerais avec lui et après il viendrait voir ma peinture. Il me parait très raisonable mais est aussi decouragé dans son metier de médecin de campagne que moi de ma peinture. Alors je lui ai dit que j’echangerais pourtant volontiers métier pour métier. Enfin je crois volontiers que je finirai par être amis avec lui. Il m’a d’ailleurs dit que si de la melancolie ou autre chôse deviendrait trop forte pour que je la supporte, il pouvait bien encore y faire quelque chôse pour en diminuer l’intensité et qu’il ne fallait pas se gêner d’être franc avec lui. Eh bien ce moment-là où j’aurai besoin de lui peut certes venir, pourtant jusqu’à aujourd’hui cela va bien. Et cela peut devenir encore mieux, je crois toujours que c’est surtout une maladie du midi que j’ai attrappé et que le retour ici suffira pour dissiper tout cela.
Souvent, fort souvent je pense à ton petit et je me dis alors que je voudrais qu’il fût grand assez pour venir à la campagne. Car c’est le meilleur système de les élever là. Combien je souhaiterais que toi, Jo et le petit preniez un repos à la campagne au lieu du voyage traditionnel en Hollande. Oui je sais bien que la mère voudra absolument voir le petit et c’est certes une raison d’y aller. pourtant certes elle comprendrait si c’était réellement l’avantage du petit.
Ici on est loin assez de Paris pour que ce soit la vraie campagne mais combien néamoins changé depuis Daubigny. Mais non pas changé d’une façon déplaisante, il y a beaucoup de villas & habitations diverses modernes et bourgeoises, tres souriantes, ensoleillées et fleuries.  1v:2 Cela dans une campagne presque grasse, juste à ce moment ci du développement d’une société nouvelle dans la vieille, n’a rien de desagreable; il y a beaucoup de bienêtre dans l’air. Un calme à la Puvis de Chavannes j’y vois ou y crois voir, pas d’usines, mais de la belle verdure en abondance et en bon ordre.
Veux tu me dire à l’occasion quel est le tableau qu’a acheté Mlle Bock. Je dois écrire à son frère pour les remercier et puis je proposerais l’échange de deux de mes études contre une de chacun d’eux.2
Ci inclus un mot que tu enverrais à Isaacson s.v.p.3
J’ai un dessin d’une vieille vigne dont je me propose de faire une toile de 304 puis une étude de maronniers rose5 et une de maronniers blancs.6 Mais si les circonstances me le permettront j’espère faire un peu de figure. Vaguement des tableaux se présentent à ma vision, qu’il prendra du temps pour mettre au clair mais ça viendra peu à peu. Si j’avais pas été malade, depuis longtemps j’aurais ecrit à Bock et à Isaacson. Ma malle n’est pas encore arrivée, ce qui m’embête, j’ai envoyé ce matin une dépêche.
Je te remercie d’avance de la toile et du papier.7 Hier et aujourd’hui il pleut & fait de l’orage mais c’est pas desagréable de revoir ces effets-là. Les lits ne sont pas arrivés non plus.8 Mais quoi qu’il en soit de ces embêtements, je me sens heureux de ne plus être si loin de vous autres et des amis. J’espère que ta santé ira bien. Cela m’a pourtant paru que tu avais moins d’apetit que dans le temps et d’après ce que disent les medecins pour nos temperaments il faudrait une nourriture très solide. Sois donc sage là-dedans, surtout Jo aussi ayant son enfant à nourrir. Vrai il faudrait bien doubler la dose, ce serait rien exagérer quand il y a des enfants à faire et à nourrir. Sans ça c’est comme un train qui marche lentement là où la route est droite. Temps assez de moderer la vapeur quand la route est plus accidentée. Poignée de main en pensée.

t. à v.
Vincent.

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