dans l’autre lettre j’ai d’abord oublié de te donner l’adresse d’ici qui est provisoirement: Place d.l. mairie, chez Ravoux.
puis lorsque je t’ai écrit je n’avais encore rien fait. A présent j’ai une étude de vieux toits de chaume avec sur l’avant plan un champ de pois en fleur et du blé, fond de colline.1 Une étude que je crois que tu aimeras. Et je m’aperçois déjà que cela m’a fait du bien d’aller dans le midi pour mieux voir le nord.
C’est comme je le supposais, je vois des violets davantage où ils sont.
Auvers est décidemment fort beau. Tellement que je crois que ce sera plus avantageux de travailler que de ne pas travailler malgrétoutes les mauvaises chances quisont à prévoir dans les tableaux.
C’est très coloré ici – mais comme il y a de jolis maisons de campagne bourgeoises; bien plus joli que Ville d’avray2 &c. à mon goût.
Parait que Desmoulins, celui qui fait le Japon, a été ici mais est reparti.3
Si vers la fin de la semaine tu pouvais m’envoyer de l’argent, ce que j’ai me tiendra jusqu’alors mais je n’en ai pas pour plus longtemps. Je te demanderais également 10 mètres toile si cela ne te dérangeait pas mais si puisque c’est vers la fin du mois cela te dérangerait, tu enverrais 20 feuilles papier Ingres.
Ceux là il me les faudrait quand même pour ne pas perdre du temps.
Il y a beaucoup à dessiner ici.
Mon cher, réflexion faite je ne dis pas que mon travail soit bien mais c’est ce que je peux faire de moins mauvais. Tout le reste,
1v:3 relations avec les gens, est très secondaire parceque je n’ai pas de talent pour çà.4
A cela je n’y peux rien.
Ne pas travailler ou travailler moins coûterait le double, voilà tout ce que je prévois SI on cherchait un autre chemin de parvenir que le chemin naturel, travailler – ce que nous ne ferons guère.
Tenez si je travaille, les gens qui sont ici viendront tout aussi bien chez moi sans que j’aille les voir exprès que si je faisais des démarches pour faire des connaissances. C’est en travaillant que l’on se rencontre et ca c’est la meilleure manière. Suis d’ailleurs bien convaincu que telle est ton opinion et aussi celle de Jo. A ma maladie je n’y peux rien – je souffre un peu de ces jours ci – c’est qu’après cette longue reclusion les journées me paraissent des semaines.
J’avais ça à Paris et ici aussi. Mais le travail marchant un peu, la sérénité viendra. Quoi qu’il en soit je ne regrette pas d’être revenu et cela ira mieux ici.
Serai bien content si d’ici quelque temps tu viennes un Dimanche ici avec ta famille. Tu verras bien que pour comprendre la campagne et la culture ça ne fait que du bien de voir d’autres pays.
Mais je trouve presqu’aussi joli les villas modernes et les maisons de campagne bourgeoises que les vieux chaumes qui tombent en ruines.
Mmes Daubigny et Daumier à ce qu’on dit restenta encore ici, au moins je suis sûr que la première y reste.5
Lorsque tu pourras le faire tu m’enverrais pour un temps les exercices au fusain de Bargue,6 j’en ai absolument besoin, je les copierai pour garder pour de bon les copies.