1r:1
1Mon cher frère,
1*merci de ta bonne lettre et du portrait de Jo qui est
2fort joli & très réussi comme pose.1 Voici je serai dans ma réponse
3très simple & aussi pratique que possible. D’abord j’écarte cathégoriquement
4ce que tu dis qu’il faudrait me faire accompagner tout le trajet.
5Une fois dans le train je ne risque plus rien, je ne suis pas de ceux
6qui soient dangereux – même suppositiona qu’il m’arrive une
7crise/ n’y a-t-il pas d’autres passagers dans le wagon et
8d’ailleurs ne sait-on pas dans toutes les gares comment faire dans
9pareil cas_– Tu te fais là des inquiétudes qui me pèsent si
10lourdement que cela me découragerait directement.
11Je viens de dire la même chôse à M. Peyron et je lui
12ai observé que les crises comme je viens d’en avoir une
13ont toujours été suivi de trois ou quatre mois de calme
14complet. Je désire profiter de cette période pour
15changer – je veux changer dans tous les cas, mon
16désir de partir d’ici est maintenant absolu.–
17Je ne me sens pas compétent pour juger la façon de traiter
18les malades ici, je ne me sens pas d’envie d’entrer dans
19des détails – mais veuilles te souvenir que je t’ai averti il
20y a 6 mois à peu près que si une crise me reprenait avec
21le même caractère je désirais changer de maison.2
22et j’ai trop tardé déjà ayant laissé passer une attaque
23entre temps, j’étais alors en plein travail et je voulais
24finir des toiles en train, sans cela je ne serais déjà
25plus ici.– Bon je vais donc te dire qu’il me semble
26qu’une quinzaine tout au plus (une huitaine me serait pourtant
27plus agréable) pourrait suffire pour prendre les mesures
28nécessaires pour changer. Je me ferai accompagner
29jusqu’à Tarascon – même une ou deux gares plus loin
30si tu y tiens. arrivé à Paris (à mon depart d’ici j’expédierai
31une dépêche) tu viendrais me prendre à la gare de Lyon_
 1v:2
32Maintenant il me semblerait préférable d’aller voir ce
33médecin à la campagne aussitôt que possible et nous laisserions
33ales bagages en gare_
34Je ne resterais donc chez toi que mettons 2 ou 3 jours
35puis je partirais pour ce village. où je commencerais par loger
36à l’auberge_
37Voici ce qu’il me semble que tu pourrais de ces jours ci –
38sans tarder – écrire à notre ami futur le médecin
39en question: “mon frère désirait beaucoup faire votre
40connaissance et préférant vous consulter avant de prolonger
41son sejour à Paris, espère que vous trouverez
42bien qu’il passe quelques semaines dans votre village
43où il viendra faire des études; il a toute confiance
44de s’entendre avec vous/ croyant que par un retour dans
45le nord sa maladie diminuera alors que par un séjour
46davantage prolongé dans le midi son état menacerait de
47'devenir plus aigu.”
48Voilà/ tu lui écrirais de la sorte/ on lui enverrait une
49dépêche le lendemain ou surlendemain de mon arrivée
50à Paris et probablement il m’attendrait à la gare.
51L’entourage ici commence à me peser plus que
52je ne saurais l’exprimer – ma foi j’ai patienté
53plus d’un an – il me faut de l’air/ je me sens
54abimé d’ennui et de chagrin.–
55Puis le travail presse/ je perdrais mon temps
56ici. Pourquoi donc, je te le demande/ crains
57tu tant les accidents – c’est pas cela qui doive t’effrayer,
58ma foi depuis que je suis ici j’en vois tomber ou
59s’égarer tous les jours – ce qui est plus sérieux
60c’est de chercher de faire une part au malheur_
61Je t’assure que c’est déjà quelque chôse de
62se résigner à vivre sous de la surveillance/  1v:3
63même en cas qu’elle serait sympathique/ et de
64sacrifier sa liberté/ se tenir hors de la société
65et de n’avoir que son travail/ sans distraction_
66Cela m’a creusé des rides qui ne s’effaceront
67pas de sitôt_– Maintenant qu’ici cela commence
68à me peser trop lourd je crois qu’il n’est que juste
69qu’il y ait un halte-là.–
70Veuille donc écrire à M. Peyron qu’il me laisse
71partir mettons le 15 au plus tard.3 Si j’attendais
72je laisserais passer le bon moment de calme entre
73deux crises et partant à présent j’aurai le
74loisir nécessaire pour faire la connaissance de
75l’autre médecin. Alors si dans quelque temps
76d’ici le mal reviendrait ce serait prévu et selon
77la gravité nous pourrions voir si je peux continuer
78en liberté ou bien s’il faut se caser dans une
79maison de santé pour de bon. Dans le dernier
80cas – ainsi que je te l’ai dit dans ma dernière
81lettre j’irais dans une maison où les malades
82travaillent aux champs & à l’atelier. Je crois
83qu’encore davantage qu’ici je trouverais alors
84des motifs pour la peinture_
85Réfléchis donc que le voyage coûte cher/ que
86cela est inutile et que j’ai bien le droit de changer
87de maison si cela me plait/ ce n’est pas ma
88liberté absolue que je réclame_
89J’ai essayé d’être patient jusqu’ici/ je n’ai fait
90du mal à personne/ est ce juste de me faire
91accompagner comme une bête dangereuse_
92Merci/ je proteste_– S’il arrive une crise/
93dans toutes les gares on sait comment faire
94et alors je me laisserais faire.
 1r:4
95Mais j’ose croire que mon aplomb ne me
96manquera pas. J’ai tant de chagrin de quitter
97comme cela/ que le chagrin sera plus fort que
98la folie/ j’aurai donc j’ose croire l’aplomb nécessaire_
99M. Peyron dit des chôses vagues pour dégager
100dit-il sa responsabilité mais ainsi on n’en finirait
101jamais jamais/ la chôse trainerait en longueur et
102on finirait par se fâcher de part et d’autre_
103Moi ma patience est à bout/ à bout mon cher frère/
104je n’en peux plus/ il faut changer même pour
105un pis aller.–
106Cependant il y a une chance réellement que le
107changement me fasse du bien – le travail marche bien/
108j’ai fait 2 toiles de l’herbe fraiche dans le parc dont
109il y en a une d’une simplicité extrême. en voici un croquis
110hatif.4

[sketch A]
110*Un tronc de pin
111violet rose et puis de l’herbe
112avec des fleurs blanches et
113des pissenlits/ un petit rosier
114et d’autres troncs d’arbre dans
115le fond/ tout en haut de la
116toile. Je serai là-bas dehors_
117Je suis sûr que l’envie de
118travailler me dévorera
119et me rendra insensible
120à tout le reste et de bonne humeur. Et je m’y laisserai
121aller non pas sans réflexion mais sans m’apesantir sur
122des regrets de chôses qui auraient pu être.
123Ils disent que dans la peinture il ne faut rien chercher ni
124espérer qu’un bon tableau et une bonne causerie et un bon
125diner comme maximum de bonheur/ sans compter
126les parenthèses moins brillantes_– C’est peutêtre vrai et
127pourquoi refuser de prendre le possible surtout si ainsi faisant
128on donne le change à la maladie.
129Bonne poignée de main à toi et à Jo/ je crois que
130je vais faire une peinture pour moi d’après le motif du portrait/
131cela ne sera pas ressemblant peutêtre mais enfin je chercherai_
132J’espère à bientôt – et voyons/ epargnez moi ce compagnon
133de voyage forcé_

134t. à t.
135Vincent.


47 aigu.” < aigu.
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