1*encore une fois je t’ecris pour dire 2que la santé continue à aller bien, pourtant 3je me sens un peu éreinté par cette longue crise 4et j’ose croire que le changement projeté 5me rafraichira davantage les idées_
6Je crois que le mieux sera que j’aille 7moi-même voir ce médecin à la campagne 8le plus tôt possible; alors on pourra bientôt 9décider si c’est chez lui ou provisoirement 10à l’auberge que j’irai loger; et ainsi on 11évitera un séjour trop prolongé à Paris, chôse 12que je redouterais_–
13Tu te rappelles qu’il y a 6 mois je te disais 14après une crise que si cela se répétait je te 15demanderais de changer_–1 Nous en 16sommes là – quoique je ne me sens pas 17capable de porter un jugement sur la façon 18qu’ils ont ici de traiter les malades – il suffit 19que je sens ce qui me reste de raison et de 20puissance de travailler absolument en danger. 21tandis qu’au contraire je me fais fort de 22prouver à ce médecin duquel tu parles 23que je sais encore travailler logiquement 24et lui me traitera en conséquence, et 25puisqu’il aime la peinture il y a assez de 26chance qu’il en résulte une amitié solide.
27Je ne crois pas que M. Peyron s’opposera 28à un très prompt départ. je me persuade 29d’ailleurs que le plaisir de passer quelques 30jours avec toi me remettra beaucoup.– 31Et dès lors nous pouvons bien compter 32sur une période de santé relative_ 33Ne tarde donc pas à prendre les 34mesures nécessaires pour que cela 35ne traîne pas_–
36Une fois là-bas je pourrai faire venir 37mon lit qui est à Arles.2
38D’ailleurs je changerais quand même/ 39préférant être dans un asile où 40les malades travailleraient/ à 41cette affreuse oisiveté d’ici qui 42reellement me parait simplement 43comme un crime. Enfin tu 44me diras qu’on voit cela un peu 45partout et que même à Paris 46cela abonde. Quoi qu’il en soit 47j’espère que nous nous reverrons 48sous peu.
49Les eaux fortes que tu m’as envoyé3 50sont bien belles. Ci contre j’ai griffonné 51un croquis d’après une peinture que j’ai 52faite de trois figures qui sont dans 53le fond de l’eau forte du Lazare.4
54Le mort et ses deux soeurs_– La grotte 55et le cadavre sont violet/ jaune/ blanc_ 56La femme qui ôte le mouchoir de la face 57du ressucité a une robe verte et des cheveux 58orangés/ l’autre a une chevelure noire et un 59vetement rayé. Vert & rose. Derriere une 60campagne/ des collines bleues/ un soleil levant jaune. 61La combinaison de couleurs ainsi parlerait par elle-même 62de la même chose qu’exprime le clair obscur de l’eau forte_
63J’aurais encore à ma disposition le modèle 64qui a posé la berceuse5 et l’autre dont 65tu viens de recevoir le portrait d’après le 66'dessin de Gauguin/6 alors certes j’essayerais 67'à exécuter en grand cette toile/ les personalités 68étant ce que j’aurais rêvé comme caractères. 69Mais laissant de côté des motifs de ce 70genre/ il restera là-bas l’étude d’après 71nature de paysans et paysages quand 72je serai de retour dans le nord.
73Pour ce qui est de la commande de couleurs.7 74si c’est que je reste ici encore quelques 75jours/ expédies en je te prie une partie 76de suite_– si toutefois je pars de ces 77jours ci – ce que j’espère – tu peux bien 78la garder à Paris.
79Ecris moi de ces jours ci dans tous les 80cas; j’espère que tu auras reçu les toiles en 81bon ordre. j’en ai fait encore une d’un 82coin de verdure qui me parait avoir quelque 83fraîcheur.8 J’ai aussi essayé une copie du 84bon Samaritain de Delacroix.9 Je crois d’après 85une note dans le Figaro que le père Quost doit 86avoir un tableau rudement bien au salon.10
87Bien des chôses à ta femme, je me fais 88une fête de faire enfin sa connaissance 89et bonne poignée de main en pensee_