aujourd’hui j’ai voulu essayer de lire les lettres qui étaient venus pour moi, mais je n’avais pas encore assez de netteté pour pouvoir les comprendre.1
Pourtant j’essaye de te répondre de suite et ai espoir que cela se dissipera dans quelque jours d’ici. Surtout j’espère que tu vas bien et ta femme et ton enfant.
Ne te préoccupe pas de moi, alors même que cela durerait un peu plus longtemps, et ecris la même chôse à la maison et dis leur bien des chôses pour moi.
Bien le bonjour à Gauguin qui m’a écrit une lettre de laquelle je le remercie beaucoup,2 je m’embête raide mais faut chercher à patienter. Encore une fois bien des choses à Jo et à son petit et poignée de mains en pensée.
je reprends encore cette lettre pour essayer d’ecrire, cela viendra peu à peu, c’est que j’ai eu la tête prise tellement – sans douleur il est vrai – mais totalement abruti.– Je dois te dire qu’il y en a – pour autant que je puisse en juger – d’autres qui ont cela comme moi; qui ayant travaillé durant une periode de leur vie sont pourtant reduits à l’impuissance. Entre quatre murs on n’apprend que difficilement quelque chose de bon, cela se comprend mais cependant est-il vrai qu’il y a des personnes qu’on ne peut pas non plus laisser en liberté comme s’ils n’avaient rien.– Et voilà je désespère presque ou tout à fait de moi. Peut-être, peut-être je guérirais en effet à la campagne pour un temps.
Le travail allait bien, la dernière toile des branches en fleur,3 tu verras c’était peutêtre ce que j’avais fait le plus patiemment et le mieux, peint avec calme et une sureté de touche plus grande. Et le lendemain fichu comme une brute. Difficile de comprendre des chôses comme cela mais hélas, c’est comme cela. J’ai grand désir de reprendre mon travail pourtant mais Gauguin écrit aussi que lui, qui est pourtant robuste, a aussi le desespoir de pouvoir continuer. Et n’est-il pas vrai que nous voyons souvent l’histoire des artistes comme cela. Mon pauvre frère prends donc les choses comme elles sont, ne t’affliges pas pour moi, cela m’encouragera et me soutiendra davantage que tu ne croies de savoir que tu gouvernes bien ton ménage. Alors après un temps d’épreuve, pour moi aussi peut-être il y reviendra des jours sereins. Mais en attendant je t’enverrai des toiles sous peu.
Russell aussi m’a écrit et je crois que c’est bien de lui avoir ecrit4 pour qu’il ne nous oublie pas tout à fait – de ton côté parles de temps en temps de lui pour qu’on sache que quoiqu’il travaille isolément5 il est un bien brave homme et je crois qu’il fera de bonnes choses comme autrefois on en voyait en Angleterre par exemple.– Il a mille fois raison de se barricader un peu.
Dites bien des choses aux Pissaro,6 tout à l’heure je vais lire plus tranquillement tes7 lettres. et demain ou après demain espère ecrire de nouveau.