1*aujourd’hui je viens de recevoir ta bonne nou- 2velle que tu es père enfin/ que le plus critique moment est 3passé pour Jo/ qu’enfin le petit est bien portant_1 Cela me 4fait à moi aussi davantage de bien et de plaisir que je 5'ne saurais t’exprimer en paroles. Bravo – et comme la 6mère va être contente. d’Elle aussi avant hier j’ai reçu 7une lettre assez longue et très sereine_2 Enfin voilà ce 8que depuis longtemps certes j’ai tant souhaité_ Pas 9besoin de te dire que de ces jours ci souvent j’ai pensé 10à vous autres et cela m’a beaucoup touché que Jo/ la nuit 11avant/ aie encore la bonté de m’ecrire_3 Comme 12elle est brave et calme dans son danger/ cela m’a 13beaucoup touché_ Eh bien cela contribue beaucoup 14à me faire oublier les derniers jours lorsque j’étais malade/ 15alors je ne sais plus où j’en suis et ai la tête égarée_
16J’ai été extremement surpris de l’article sur mes tableaux que 17tu m’as envoyé/4 pas besoin de te dire que j’espère continuer 18à penser que je ne peins pas comme cela mais j’y vois 19plutôt comment je devrais peindre_ Car l’article 20'est fort juste dans ce sens qu’il indique la lacune 21à remplir et je crois qu’au fond l’écrivain l’écrit 22plutot pour guider non seulement moi mais les 23autres impressionistes egalement et meme plutôt à 24faire la brèche au bon endroit_ Il propose donc un 25moi collectif/ ideal aux autres tout autant qu’à moi_ 26il me dit simplement que ça et là il y a du bon, 27si tu veux, aussi dans mon travail si imparfait 28et là est le côté consolant que j’aprecie et duquel j’espère 29être reconnaissant. Seulement il doit être entendu 30que je n’aie pas bon dos asseza pour accomplir une 31affaire pareille et en concentrant sur moi l’article/ 32pas besoin de te dire combien je me sens logé dans 33le flatteur et c’est à mon avis aussi exagéré que
1v:2 37ce qu’un certain article d’Isaacson disait sur ton 38compte à toi/ qu’à présent les artistes declinaient 39de se disputer et qu’un mouvement serieux se faisait 40silencieusement dans le petit magasin du Boulevard 41'Montmartre.5 J’admets qu’il est difficile de 42dire/ de s’exprimer autrement – de même qu’on ne saurait peindre 43comme on voit – et c’est donc pas pour critiquer 44la hardiesse d’Isaacson ou celle de l’autre critique 45mais en tant que quant à nous/ tenez/ nous 46posons un peu pour lemodèle et ma foi 47c’est là un devoir et un travail comme un 48autre. Donc si à toi/ si à moi il viendrait 49une reputation ou une autre/ il s’agit de chercher 50à garder un certain calme et si possible présence 51d’esprit.– Pourquoi ne pas dire à plus forte raison ce qu’il 52dit de mes tournesols6 des magnifiques et si complètes Roses 53tremières de Quost et de ses iris jaunes/7 des splendides pivoines 54de Jeannin_–8 Et tu prévois comme moi qu’avoir les louanges 55doit avoir son verso/ son revers de medaille. Mais 56volontiers je suis fort reconnaissant de l’article ou plutot 57“le coeur à l’aise” comme dans la chanson de la revue9 58puisque on peut en avoir besoin comme on peut avoir 59vraiment besoin d’une médaille. Puis un article comme 60cela a son merite propre d’oeuvre d’art critique/ 61'comme quoi je le trouve à respecter et l’ecrivain 62doit monter les tons/ synthetiser ses conclusions &c.
63Mais dès le commencement faudra y songer de 64ne pas trop mettre ta jeune famille dans le milieu 65artistique_ Le vieux Goupil10 a bien mené son 66menage dans les broussailles Parisiennes et 67je crois que tu penseras encore tres souvent à 68lui_ Les choses ont tant changées/ pour aujourd’hui 69sa hauteur froide serait choquante mais sa force
1v:3 76de resister à tant de tempêtes/ cela a pourtant été quelque chôse_
77Gauguin proposait/ très vaguement il est vrai/ de fonder 78un atelier en son nom/ lui/ de Haan et moi/ mais disait 79qu’il poursuit d’abord à outrance son projet du Tonkin 80et parait bien refroidi pour je ne sais pas au juste quel 81motif pour continuer à peindre.11 Et il est homme à 82filer au Tonkin/ en effet/ il a un certain besoin d’expansion 83et trouve mesquin – et il a un peu raison – la vie d’artiste_ 84Avec ses experiences de plusieurs voyages/ que lui dire_ 85Donc j’espère qu’il sentira que toi et moi sommes en 86effet ses amis sans trop compter sur nous/ ce que 87d’ailleurs il ne fait point. Il écrit avec beaucoup 88de reserve/ plus grave que l’autre année. Je viens d’écrire 89un mot à Russell encore une fois pour lui rappeler 90un peu Gauguin car je sais que Russell est très 91sérieux et fort comme homme_–12 Et si je me 92remettais avec G. alors nous aurions besoin de 93Russell. Gauguin et Russell c’est des gens à fond 94rustique; sauvage non/ mais avec une certaine douceur 95des champs lointains innée probablement bien davantage 96que toi ou moi/ voilà comment je les trouve.
97Il faut – il est vrai – parfois un peu y croire pour 98le voir. Si pour moi je voulais continuer à 99appelons le traduire certaines pages de Millet/13 alors 100pour eviter qu’on puisse/ non pas me critiquer, va pour 101cela, mais gêner ou empêcher pretextant que c’est 102fabriquer des copies – alors il me faut dans les 103artistes des gens comme Russell ou Gauguin pour 104mener cette besogne à bonne fin/ pour en faire 105chôse sérieuse. Pour faire les choses de Millet que 106tu envoyais par exemple et desquels je trouve le 107choix tout à fait cela – j’ai des scrupules de conscience 108et j’ai pris le tas de photographies et je l’ai envoyé
1r:4 109sans hesiter à Russell pour que je ne les revoie pas 110sans reflexion faite.14 Je ne veux pas le faire avant 111d’avoir un peu entendu l’opinion d’abord de toi puis aussi 112de certaines autres sur celles que tu vas sous peu recevoir_ 113Sans cela j’aurais des scrupules de conscience/ une 114crainte que cela ne soit du plagiat. Et non pas 115à présent mais dans quelques mois je chercherai 116à avoir l’opinion franche précisement de Russell 117sur l’utilité de la chôse_ En tout cas Russell éclate/ 118il se fache/ il dit quelque chose de vrai et c’est de cela 119que parfois j’ai besoin. Tu sais je trouvais à tel 120point eblouissant la vierge15que je n’ai pas osé 121'regarder. Tout de suite j’ai senti un – “pas 122encore”. Maintenant la maladie me rend fort 123sensitif et je ne me sens pour le moment pas capable 124de continuer ces “traductions” alors qu’il s’agirait de tels 125chefs d’oeuvres_ Je fais halte-là au semeur qui est en 126train et ne vient pas comme cela serait désirable.16 127Etant malade pourtant j’ai songé beaucoup à continuer 128ce travail-là et que lorsque je le fais je le fais avec calme/ 129tu le verras bientot quand j’enverrai les cinq ou 6 toiles 130terminées.17 J’espère que M. Lauzet viendra, j’ai grande envie 131de faire sa connaissance. J’ai confiance en son opinion quand il dit que c’est 132la Provence/18 là il touche la difficulté et comme l’autre il indique plutôt 133une chôse à faire qu’une de faite_– Les paysages aux cyprès! ah ce serait 134pas commode_– Aurier le sent aussi quant il dit que meme 135le noir est une couleur et de leur aspect de flamme_19 Je le médite 136mais n’ose pas non plus et dis comme Isaäcson qui est prudent/ 137je ne sens pas encore que nous en serions là_20 Il faut une 138certaine dose d’inspiration/ de rayon d’en haut21 qui n’est pas 139à nous/ pour faire les belles choses. Lorsque j’avais fait ces 140tournesols je cherchais le contraire et pourtant l’équivalent et 141je disais/ c’est le cyprès_– Je m’arête là – je suis un peu inquiet 142d’une amie qui est toujours parait-il malade et où je desirerais aller/ 143c’est celle dont j’ai fait le portrait en jaune et noir et elle etait tellement 144changée_22 C’est des crises nerveuses et complication de retour d’age prématuré/ 145enfin fort penible_ Elle ressemblait à un vieux grandpère la derniere fois_ 146J’avais promis de revenir dans la quinzaine et ai été repris moi-même_
147Enfin pour moi la bonne nouvelle que tu m’as appris et cet article 148et un tas de chôses font que je me sens tout à fait bien personellement aujourd’hui_
70maintenant en pensée je reste avec vous autres tout en terminant ma lettre_ Puisse Jo demeurer 71longtemps pour nous tous ce qu’elle est. Maintenant pour le petit/ pourquoi donc ne l’appelez vous pas 72Theo en mémoire de notre père/ à moi certes cela me ferait tant de plaisir. Poignée de main_
34Je regrette aussi que M. Salles ne t’ait pas trouvé_ Je remercie encore une fois Wil de sa bonne lettre/ j’aurais 35voulu y répondre aujourd’hui mais je le remets à quelques jours d’ici/ dis lui que la mère m’a ecrit encore une 36longue lettre d’Amsterdam.23 Comme elle va être heureuse celle là aussi_
74Si tu le vois/ remercie provisoirement beaucoup M. Aurier de son article/ je t’enverrai naturellement un mot pour lui 75et une etude_
5 t’exprimer < It is possible that Van Gogh wrote ‘l’exprimer’.