Merci de votre lettre et de vos propositions projetées; elles m’ont donné beaucoup à réflechir et je vous avoue que je trouve la vie ensemble possible, très possible mais avec beaucoup de précautions. Votre état maladif qui n’est pas encore tout à fait guéri demande du calme et beaucoup de ménagements. Vous dites vous-même que lorsque vous allez à Arles des souvenirs vous agitent.– Ne craignez-vous pas que je ne sois aussi une cause semblable.– En tous cas il ne me paraîtrait pas prudent de s’embarquer dans une ville où vous trouviez isolement et par suite manque de soins immédiats au cas où vous retomberiez –
1r:2 alors je cherche l’endroit le plus propice.– Nous avons causé de celà avec de Haama (un homme tout à fait serieux) et je trouve qu’Anvers serait tout à fait l’affaire.–
Parceque la vie est aussi bon marché que dans un trou de Province.–
Ensuite parcequ’il y a des musées qui ne sont pas à dédaigner pour des peintres.– Puis on peut là travailler pour la vente.–
Pourquoi ne fonderions-nous pas un atelier en mon nom; avec quelques relations, notre nom un peu connu par les Vingtistes,1 ce serait chose possible, et si peu que l’on fasse on fait toujours un pas profitable.– À mon avis l’impressionisme ne sera vraiement
1v:3 bien à sa place en France que retour de l’étranger. C’est là où on le raisonne, l’accueille le mieux donc c’est là qu’il faut travailler. Vous serez deux hollandais, c’est à dire du pays quoiqu’Anvers soit belge.
Dernièrement on a fait à Copenhague une exposition de moi avec des oeuvres qu’on a refusées autrefois comme je vous l’ai raconté.2 Eh bien elle a eu beaucoup de succès.– C’est un indice que le 1er travail que j’avais fait avait son grain qui germait lentement.–
De même à Anvers, en se remuant, 3 gaillards de talent et solides dans leur conviction, on fera un pas. Et pourquoi, un peu plus tard si celà marche un peu, ne pas faire
1v:4 une petite succursale de votre frère en tant que vente. Votre frère pourrait vous prêter quelques toiles d’autres artistes et avec cette goutte d’eau creuser la roche.–3
Voilà mon cher Vincent, grosso modo mon opinion sur votre projet. Répondez-moi là dessus votre opinion franche.– En tous cas tout celà est bien nuageux puisque je poursuis à outrance mon projet du Tonkin.–4
En ce moment nous avons des orages de grande marée qui nous retiennent à l’atelier et c’est bien triste.–