Je ne sais si vous vous en rappelez, je le trouve assez étrange, qu’il y a un an à peu près Mme Ginoux a été malade en même temps que moi;1 et à présent cela a encore été comme cela puisque – juste vers Noël – pendant quelques jours j’ai été cette année encore assez mal pris, cependant cela a été très vite fini; je n’en ai pas eu pour une semaine. Puisque donc, mes chers amis, nous souffrons quelque fois ensemble cela me fait penser à ce que dit Madame Ginoux – “quand on est amis on l’est pour longtemps”.–
Je crois moi que les contrariétés qu’on éprouve dans le train train ordinaire de la vie nous font au moins autant de bien que de mal. Ce dont on tombe malade, accablé de découragement aujourd’hui, cela même nous rend l’énergie, la maladie accomplie, de nous lever et de vouloir guérir le lendemain.–
Je vous l’assure que l’autre année cela m’a presque contrarié de guérir – d’aller mieux pour un temps plus ou moins long – continuant à redouter toujours les rechûtes – presque contrarié – vous dis-je – tellement j’avais peu envie de recommencer. Je me suis bien souvent dit que je préférais qu’il n’y eût plus rien et que cela fût fini. Mais oui – nous n’en sommes pas le maitre – de notre existence et il s’agit parait-il d’apprendre à vouloir vivre encore, même en souffrant.– Eh, je me sens si lâche là-dedans, la santé revenant même. Je redoute encore. Alors qui suis-je pour encourager les autres, me direz-vous comme de juste, cela ne me sied guère.–
Enfin c’est seulement pour vous dire, mes chers amis, que
1v:3 j’espère si ardemment, et d’ailleurs que j’ose croire, que la maladie de mm Ginoux soit très passagère et qu’elle en remontera tout à fait ragaillardie. Mais elle n’ignore pas combien nous tenons tous à elle et désirons la voir bien portante.
Pour moi, la maladie m’a fait du bien – ce serait ingrat de ne pas en convenir; cela m’a calmé et très différenta de ce que je m’étais figuré cette année j’ai eu plus de chance que je n’avais osé espérer.–
Mais si je n’avais pas été si bien soigné, si les gens n’avaient pas été pour moi aussi bons qu’ils l’ont été, je crois que j’aurais claqué ou que j’aurais perdu complètement la raison.
Les affaires sont les affaires puis aussi le devoir est le devoir, ce n’est donc que comme de juste que je retourne bientôt un peu voir mon frère. Mais il me sera penible de quitter le midi, je
1r:4 vous l’assure à vous tous qui êtes devenus des amis pour moi – des amis pour longtemps.
J’ai encore oublié de vous remercier des olives que vous m’avez envoyé l’autre fois et qui étaient excellentes, prochainement je vous rapporte les boîtes.–
Je vous écris donc, chers amis, pour essayer de distraire pour un moment notre chère malade pour qu’elle reprenne son sourire habituel, pour nous faire plaisir à tous qui la connaissons. Ainsi que je vous l’ai dit, dans une quinzaine j’espère venir vous revoir bien guérie.2
Les maladies sont là pour nous en faire ressouvenir que nous ne sommes pas en bois. Voila ce qui me parait le bon côté de tout cela. Puis après on s’en revab à son travail de tous les jours redoutant moins les contrariétés, avec une nouvelle provision de sérénité. Et même en se séparant ce sera en se disant pourtant encore: “et lorsqu’on est amis on l’est pour longtemps” – car voila le moyen pour pouvoir se quitter.–
Allons, à bientôt, et mes meilleurs souhaits pour la prompte guérison de Mme Ginoux. croyez moi