1*Merci beaucoup de ta 2lettre du 22 Dec_1 contenant un billet 3'de 50 fr.; d’abord je te souhaite à toi et 4à Jo une heureuse année et regrette 5de t’avoir peutetre, bien involontairement 6néamoins, causé de l’inquiétude, car 7M. Peyron a dû t’écrire que j’ai encore 8une fois eu la tête bien dérangée.2
9A l’heure que je t’écris je n’ai pas 10encore vu M. Peyron donc je ne sais 11pas s’il t’a écrit quelquechôse sur mes 12tableaux. Il est venu me parler pendant 13que j’étais malade qu’il avait reçu de 14tes nouvelles et si je voulais exposer 15mes tableaux oui ou non_ Alors je lui 16avais dit que j’aimais encore mieux 17ne pas les exposer_ Ce qui n’avait pas de 18raison d’être et j’espère donc qu’ils sont 19partis quand même. Mais enfin je 20regrette de ne pas avoir pu aujourd’hui 21voir M. P. pour savoir ce qu’il t’a écrit_ 22Enfin, cela ne me parait pas important 23en somme/ puisque tu dis que ça part le 243 Janvier seulement/ tu recevras celle–ci 25à temps encore.
26Quel malheur pour Gauguin cet enfant 27tombé de la fenêtre et lui ne pouvant pas 28être là,3 je pense souvent à lui/ comme 29il a ses misères celui là malgré son activité 30et tant de qualités hors ligne.
31Je trouve parfait que la soeur 32vienne t’assister lorsque Jo accouchera_ 33Puisse cela marcher bien – je 34pense beaucoup à vous autres/ je 35vous l’assure_
36Maintenant ce que tu dis de 37mon travail certes cela m’est agréable 38mais je pense toujours à ce sacré 39métier dans lequel on est pris comme 40dans un filet et où l’on devient moins 41pratique que les autres_ Enfin inutile 42hélas de se faire du mauvais sang sur 43cela – et il faut faire comme on peut. 44Drôle que j’avais travaillé avec un 45calme parfait à des toiles que tu 46verras bientôt et que tout à coup 47sans raison aucune l’égarement m’a 48encore repris.
49Si Gauguin était trop aux abois je 50crois que je lui proposerais encore d’aller 51vivre ensemble là où il reste/a pouvant 52nous nourrir à deux de ce que cela 53coûte ici pour moi seul.
54Je ne sais ce que va me conseiller 55M. Peyron mais tout en tenant 56compte de ce qu’il me dira je crois
1v:3 57que lui moins que jamais osera se 58prononcer sur la possibilité pour moi 59de vivre comme auparavant. Il est 60à craindre que ces crises reviendront. 61Mais ce n’est pas du tout une raison 62pour ne pas essayer un peu de se 63distraire.
64Car l’entassement de tous ces aliénés 65dans ce vieux cloitre/ cela devient 66je crois une chôse dangereuse où 67l’on risque de perdre tout ce qu’on 68pourrait encore avoir gardé de bon sens_ 69Non pas que j’y tienne à ceci ou à 70cela de préférence/ je me suis habitué 71à l’existence ici mais faudra pas 72oublier d’essayer un peu le contraire_ 73Quoi qu’il en soit tu vois que je t’ecris 74avec un calme relatif.
75Très intéressant ce que tu écris 76de la visite de M. Lauzet. je 77crois que lorsque je t’enverrai les 78toiles qui sont encore ici il reviendra 79bien encore une fois et si j’étais là
1r:4 80je crois que je me mettrais aussi à 81lithographier_
82Peut être ces toiles en question feraient 83l’affaire de Reid_
84Surtout il faut que je ne perde pas mon 85temps/ je vais me remettre au travail 86aussitôt que m. Peyron le permettra 87et s’il ne le permet pas/ alors je coupe 88net avec ici_ C’est cela qui me tient 89encore relativement en équilibre 90et j’ai encore un tas d’idées pour 91de nouveaux tableaux.
92Ah pendant que j’etais malade il 93tombait de la neige humide et fondante/ 94je me suis levé la nuit pour regarder 95le paysage – jamais jamais la 96nature m’a paru si touchante et si 97sensitive.
98Les idées relativement superstitieuses 99qu’on a ici sur la peinture me rendent 100melancoliques plus que je ne saurais 101te dire parfois parce que c’est toujours 102au fond un peu vrai qu’un peintre 103comme homme est trop absorbé par 104ce que voient ses yeux et ne maitrise 105pas assez le reste de sa vie_
106Si tu voyais la lettre que Gauguin 107m’a écrit la derniere fois4 tu en serais 108touché comme il pense droit/ et 109un homme si fort presqu’immobilisé 110c’est malheureux ça_ Et Pissarro aussi/ 111Guillaumin de même_ Quelle 112affaire quelle affaire.
113Je viens de recevoir une lettre 114de la mère et de Wil aussi_
115Ces jours ci tu auras avec Jo bien 116des angoisses par moments et 117un mauvais passage à passer. 118Mais ce sont de ces chôses sans quoi 119la vie ne serait pas la vie et cela 120rend grave. C’est une bien bonne 121idée que Wil va être là.
122Pour ce qui me regarde ne t’inquiètes 123pas trop/ je me defends avec calme 124contre la maladie et je crois que 125de ces jours ci je pourrai reprendre le 126travail.
127Et cela me sera encore une 128leçon de chercher à travailler 129avec droiture sans trop d’arriere 130pensées qui troublent la conscience_ 131Un tableau/ un livre/ il ne 132faut pas les mepriser et si c’est 133mon devoir de faire cela il ne 134faut pas que je désire autre 135chôse.
136Il est temps que cette lettre parte/ 137encore une fois merci de la 138tienne et bonne poignée 139de main à toi et à Jo/ crois 140moi