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1Mon cher ami Bernard,
1*l’autre jour mon frère
2m’a écrit que vous1 viendriez voir mes toiles/ je sais donc
3que vous êtes de retour et cela me fait bien plaisir que
4vous ayez pensé à aller voir ce que j’ai fait.2
5De mon côté je suis extrêmement curieux de savoir
6ce que vous avez rapporté de Pont Aven.3
7Je n’ai guère la tête à la correspondence mais je
8sens un grand vide de ne plus être au courant
9du tout de ce que Gauguin/ vous et d’autres font.
10Mais faut bien que je prenne patience. J’ai
11encore une douzaine d’etudes ici4 qui seront
12probablement plus de ton gout que celles de cet
13été que mon frère vous aura montrées_
14Il y a parmi ces etudes une entrée de carrière/
15des rochers lilas pâle dans des terrains rougeâtres
16comme dans de certains dessins Japonais_5
17Comme dessin et division de la couleur par
18grands plans cela a pas mal de rapport avec
19ce que vous faites à Pont Aven.
20J’ai été plus maître de moi dans ces dernières
21études parceque mon état de santé s’était
22raffermi. Ainsi il y a aussi une toile de 30
23avec des terrains labourés lilas rompu et
24fond de montagnes qui montent tout en haut
25de la toile/ donc rien que des terrains rudes
26et rochers avec un chardon et herbes sèches
27dans un coin et un petit homme violet et jaune_6
28Cela te prouvera j’espère que je ne suis pas
29ramolli encore.
30Mon dieu c’est un bien mauvais petit pays
31ici/ tout y est difficile à faire/ pour demêler
32le caractère intime et pour que cela ne soit pas
33une chose vaguement vraie/ mais du vrai sol
34de Provence. Alors pour arriver à cela c’est
35qu’il faut labourer dur. Et alors ça devient naturellement
36un peu abstrait. Car il s’agira de donner au soleil
37et au ciel bleu sa force et son eclat/ aux terrains
38brulés et si melancoliques souvent/ leur fin arome
39de thym. Les oliviers d’ici/ mon bon/ ca ferait
40votre affaire/ j’ai pas eu de chance cette annee pour
41les reussir mais j’y reviendrai à ce que je me propose_
42C’est de l’argent sur terrain orangeatre ou violacé
43sous le grand ciel bleu. J’en ai ma foi vu/ de certains
44peintres et de moi-même/ qui ne rendaient pas du tout
45la chôse_– C’est comme du Corot d’abord ces gris argent/
46et surtout cela n’a pas encore été fait – tandis que
47plusieurs artistes ont reussi les pommiers par exemple
48et les saules.
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49Ainsi il y a relativement peu de tableaux representant
50les vignes qui pourtant sont d’une beauté si changeante_
51Il y a donc encore assez à tripoter ici pour moi_
52Dites donc/ ce que je regrette beaucoup de ne pas avoir vu
53à l’exposition c’est une serie d’habitations de tous les
54peuples/ je crois que c’est Garnier ou Violet le Duc qui
55ont organisé cela.7 Eh bien pourriez vous/ qui l’aurez
56vu/ me donner une idée et surtout un croquis
57avec la couleur de la maison Egyptienne
58primitive_– Ça doit être fort simple/ un bloc
59carré je crois sur une terrasse – mais je voudrais
60savoir la coloration aussi_– Dans un article
61je lisais que c’etait bleu/ rouge et jaune.8
62Avez vous fait attention à cela. Prière de me
63renseigner sans faute! Et faut pas confondre
64avec le Persan ou le marocain/ il doit y en avoir
65qui sont à peu près cela mais pas cela.–
66Enfin pour moi en fait d’architecture ce que je
67connais de plus admirable c’est la chaumière
68au toit de chaume moussu avec son foyer noirci. Je
69suis donc très difficile.– J’ai vu un croquis
70dans une illustration des habitations anciennes
71mexicaines/ cela paraît egalement primitif et
72bien beau.9 Ah si on savait les chôses d’alors
73et si on pouvait peindre les gens d’alors qui ont vécu
74là-dedans – ce serait aussi beau que du Millet.–
75Enfin ce qu’on sait de solide actuellement c’est donc Millet/
76je ne dis pas pour la couleur – mais comme caractère/
77comme chôse significative/ comme chôse dans laquelle
78on a foi solide.–
79maintenant pour ton service est ce que vous partirez?10
80J’espère que vous irez voir mes toiles de nouveau
81lorsque j’enverrai en Novembre les études d’automne_
82Et si possible faites moi savoir ce que vous avez
83rapporté de Bretagne car je tiens à savoir ce
84que vous croyez vos meilleures chôses vous-même_
85Alors bientôt j’ecris de nouveau.
86Je travaille à une grande toile d’un ravin/ c’est un motif
87tout à fait comme l’etude avec un arbre jaune que j’ai encore de
88vous/11 deux bases de rochers excessivement solides entre lesquels coule
89un filet d’eau/ une troisieme montagne qui ferme le ravin_12
90Ces motifs ont certes une belle melancolie/ puis cela est amusant
91de travailler dans des sites bien sauvages où il faut enterrer
92le chevalet dans les pierres pour que le vent ne vous fiche pas tout par terre_
93Poignée de main_

93*b. à. t.
93*Vincent


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