je languissais après ta lettre et donc j’ai été bien content de la recevoir et de voir par là que tu te portes bien ainsi que Jo et les amis dont tu parles.1
J’ai à te prier d’envoyer le plus tôt possible les blancs que j’avais demandé2 et d’y ajouter de la toile, 5 metres ou 10, comme ça tombe. Puis je dois commencer par t’apprendre une nouvelle assez contrariante à ce que je pense. C’est qu’il y a eu pendant le sejour ici quelques frais que je croyais que M. Peyron t’avait communiqué à fur & à mesure, ce qu’il me disait l’autre jour ne pas avoir fait, de sorte que cela s’est amassé jusqu’à 125 francs environ en y deduisant les 10 que tu as envoyé par bon de poste.3
C’est pour de la couleur, de la toile, des cadres & chassis, mon voyage de l’autre jour à Arles,4 un vetement de toile et reparations divers.
J’use ici 2 couleurs, le blanc de ceruse et du bleu ordinaire mais en assez grande quantité, et la toile c’est lorsque je veux travailler sur de la toile non preparée et plus forte.
Cela tombe mal juste à cette époque où volontiers j’aurais repété mon voyage à Arles. etc.
Cela dit je te raconterai que nous avons quelques journees d’automne superbes et que j’en profite. J’ai quelques études, entre autre un murier tout jaune sur terrain pierreux se détachant sur le bleu du ciel dans laquelle étude je crois que tu verras que j’ai trouvé la trace de Monticelli.5 Tu auras reçu l’envoi de toiles que je t’ai expediées Samedi dernier.6
Cela me surprend beaucoup que M. Isaacson veut faire un article sur des etudes de moi.7 Volontiers je l’engagerais à attendre encore, son article n’y perdrait absolument rien et avec encore une annee de travail je pourrais j’espere lui mettre sous les yeux des choses plus caracteristiques avec davantage de volonté dans le dessin, davantage de connaissance de cause quant au midi provencal.
M. Peyron a été bien bon de causer de mon affaire en ces termes-là – j’ai pas osé lui demander d’aller à Arles de ces jours ci, ce dont j’aurais très grande envie, croyant qu’il desapprouverait.– Non pas cependant que je soupçonnais que lui crut à un rapport entre mon voyage précédent et la crise qui l’a suivi de près.– Le cas est que par là il y a quelques personnes que je sentais et sens de nouveau le besoin de revoir.
Tout en n’ayant pas ici dans le midi comme le bon Prevot8 une maitresse qui m’y enchaîne, involontairement je me suis attaché aux gens et aux chôses.
Et à présent que provisoirement je reste encore ici et à ce qui est probable y passerai l’hiver – au printemps – à la belle saison n’y resterai je pas aussi.– Cela dependra surtout de la santé.
Ce que tu dis d’Auvers m’est neamoins une perspective très agreable et soit plus tot soit plus tard sans chercher plus loin il faudrait arreter cela. Si je viens dans le nord, meme en supposant que chez ce Docteur il n’y eût pas de place il est probable que celui là trouverait sur la recommandation du pere Pissaro et de la tienne soit un logement dans une famille, soit tout bonnement à l’auberge.9 La chose principale est de connaitre le medecin pour qu’on ne tombe pas en cas de crise dans les mains de la police pour être transporté de force dans un asile.
Et je t’assure que le Nord m’interessera comme un pays neuf.
Mais enfin pour le moment il n’y a donc rien qui nous presse absolument.
Je me reproche d’etre tant en retard pour de la correspondance, je voudrais ecrire à Isaacson, à Gauguin et à Bernard. Mais écrire ne va pas toujours et le travail presse d’ailleurs. Oui je voudrais dire à Isaacson que en attendant encore il ferait bien, il n’y a pas encore là-dedans ce que avec continuation de santé j’espère atteindre. C’est pas la peine de mentionner quoi que ce soit de mon travail actuellement. Quand je serai de retour, à la rigueur cela formera une espèce d’ensemble “Impressions de la Provence”.
Mais que veut il dire à present lorsqu’il faut encore accentuer les oliviers, les figuiers, les vignes, les cyprès, toutes choses caracteristiques ainsi que les Alpines qui doivent atteindre davantage de caractère.
Comme j’aimerais voir ce qu’ont rapporté Gauguin et Bernard.
J’ai une etude de deux peupliers jaunis sur fond de montagnes10 et une vue du parc ici, effet d’automne, où il y a un peu de dessin plus naif et plus – chez soi.–11
Enfin il est difficile de quitter un pays avant de prouver par quelque chôse qu’on l’a senti et aimé.
Si je reviens dans le nord je me propose de faire un tas d’etudes de grec, tu sais des etudes peintes avec du blanc et du bleu et un peu d’orangé seulement comme en plein air.12
Il me faut dessiner et chercher du style. J’ai vu hier chez l’aumonier d’ici un tableau qui me causait une impression. Une dame provencale au visage intelligent et de race, en robe rouge.13 Une figure comme celles auquelles pensait Monticelli.
C’etait pas sans grands defauts mais il y avait de la simplicité et comme c’est triste à voir combien on en a derogé ici comme nous de la nôtre en Hollande.
Je t’écris à la hâte pour ne pas attendre de répondre à ta bonne lettre, esperant que tu ecriras de nouveau sans tarder longtemps.
j’ai encore vu de fort beaux motifs pour demain – dans les montagnes.
Bien des chôses à Jo et aux amis, surtout remercie à l’occasion le père Pissaro de son renseignement qui certes sera utile.