1*je trouve ta lettre1 bien bonne/ 2ce que tu dis de Rousseau et d’artistes tel que 3Bodmer/ que c’est des hommes en tout cas 4et de tels qu’on désirerait le monde peuplé 5de gens comme ça – oui certes c’est cela 6ce que moi je sens aussi_
7Et que J_H_ Weissenbruch connaisse & fasse 8les chemins de halage boueux/ les saules 9rabougris/ les raccourcis & les perspectives 10savantes & etranges des canaux “comme 11'Daumier ses avocats”/ je trouve cela parfait_ 12Tersteeg a bien fait de lui acheter de son 13travail/ que des gens comme ca ne se 14vendent pas cela vient selon moi parcequ’il 15y a trop de vendeurs qui cherchent à vendre 16autre chose/ avec quoi ils trompent 17le public & le devoyent_
18Sais tu qu’encore aujourd’hui quand je lis 19par hasard l’histoire de quelqu’industriel energique 20ou surtout d’un editeur/ qu’alors il me vient 21encore les mêmes indignations/ les mêmes 22colères d’autrefois quand j’etais chez les G&Cie_
23La vie se passe ainsi/ le temps ne revient pas mais 24je m’acharne à mon travail/ à cause de cela 25même que je sais que les occasions de travailler 26ne reviennent pas_
27Surtout dans mon cas où une crise plus violente 28peut detruire à tout jamais ma capacité de peindre_ 29Je me sens dans les crises lâche devant l’angoisse 30et la souffrance – plus lache que de juste/ 31et c’est peutêtre cette lâcheté morale même 32qui/ alors qu’auparavant je n’avais aucun 33desir de guerir/ à présent me fait manger 34comme deux/ travailler fort/ me ménager 35dans mes rapports avec les autres malades 36de peur de retomber – enfin je cherche 37à guerir à present comme un qui aurait voulu se suicider/ trouvant 38l’eau trop froide/ cherche à ratrapper le bord_
39mon cher frère tu sais que je me suis rendu 40dans le midi et que je m’y suis lancé dans 41le travail pour mille raisons_
42vouloir voir une autre lumière/ croire que regarder la nature sous 43un ciel plus clair peut nous donner 44une idee plus juste de la façon de sentir 45et de dessiner des Japonais. Vouloir enfin 46voir ce soleil plus fort parceque l’on sent que 47sans le connaitre on ne saurait comprendre 48au point de vue de l’exécution/ de la technique/ 49les tableaux de Delacroix et parceque l’on 50sent que les couleurs du prisme sont voilés 51dans de la brume dans le nord_
52Tout cela reste un peu vrai. Puis lorsqu’à 53cela s’ajoute encore une inclinaison du 54coeur vers ce midi que Daudet a fait dans 55Tartarin2 et que par ci par là moi j’ai 56trouvé aussi des amis et des choses que j’aime 57ici.
58Comprendras tu alors que tout en trouvant 59horrible mon mal je sens que quand même 60je me suis fait des attaches un peu trop fortes 61ici – attaches qui peuvent faire que plus tard 62l’envie me reprenne de travailler ici – quand bien 63même il peut se faire que sous relativement 64peu je revienne dans le nord.
65Oui car je ne te cache pas que de même 66que je prends à present de la nourriture avec 67avidité j’ai un desir terrible qui me vient 68de revoir les amis et de revoir la campagne 69du nord.
70Le travail va fort bien/ je trouve des choses 71que j’ai en vain cherché pendant des années 72et sentant cela je pense toujours à cette 73parole de Delacroix que tu sais/ qu’il trouva 74la peinture n’ayant plus ni souffle ni dents_3 75Eh bien moi avec la maladie mentale 76que j’ai/ je pense à tant d’autres artistes 77moralement souffrants et je me dis que 78cela n’est pas un empêchement pour excercer 79l’etat de peintre comme si rien n’était_
80Alors que je vois qu’ici les crises 81tendent à prendre une tournure religieuse absurde 82j’oserais presque croire que cela nécessite meme 83un retour vers le nord_– Ne parlez pas trop 84de cela avec le médecin quand tu le verras4 – mais 85je ne sais si cela ne vient pas de 86vivre tant de mois et à l’hospice d’Arles et ici dans 87ces vieux cloitres.5 Enfin il ne faut pas que 88je vive dans un milieu comme cela/ mieux 89vaut alors la rue. Je ne suis pas indifferent et 90dans la souffrance même quelquefois des pensées 91religieuse me consolent beaucoup. Ainsi cette 92fois ci pendant ma maladie il m’etait arrivé un 93malheur – cette lithographie de Delacroix/ la piéta/6 94avec d’autres feuiles etait tombée dans de l’huile 95et de la peinture et s’était abimée_
96J’en étais triste – alors entretemps je me 97suis occupé à la peindre et tu verras cela un 98jour/ sur une toile de 5 ou de 6 j’en ai fait une 99copie qui je crois est sentie7 – d’ailleurs ayant 100vu il n’y a pas longtemps le Daniel et les odalisques 101et le portrait de Brias et la mulâtresse à Montpellier/8 102je suis encore sous l’impression que cela m’a produit_ 103Voila ce qui m’edifie ainsi que de lire un 104beau livre comme de Beecher Stowe ou de Dickens_ 105Mais ce qui me gêne c’est de voir à tout moment 106de ces bonnes femmes qui croient à la vierge 107de Lourdes9 et fabriquent des chôses comme ça 108et de se dire qu’on est prisonnier dans une 109administration comme ça/ qui cultivent très 110volontiers ces aberrations religieuses maladives 111alors qu’il s’agirait de les guérir.10 Alors je dis/ 112encore mieux vaudrait aller sinon au bagne 113au moins au regiment.
114Je me reproche ma lâcheté/ j’aurais mieux dû 115defendre mon atelier/ eussé je dû me 116battre avec ces gendarmes & voisins.11 D’autres 117à ma place se seraient servi d’un revolver 118et certes/ eût on tué comme artiste des 119badauds comme cela/ on aurait été acquitté_ 120Là j’aurais mieux fait alors et maintenant 121j’ai été lâche et ivrogne_
122Malade aussi mais je n’ai pas été brave_1r:4 123Alors devant la Souffrance de ces crises je me sens 124tres craintif aussi et je ne sais donc si mon zèle 125soit autre chôse que ce que je dis/ c’est comme celui 126qui veut se suicider et trouvant l’eau trop froide 127il lutte pour ratrapper le rivage_
128Mais écoute – être en pension comme j’ai vu Braat 129dans le temps12 – heureusement ce temps est loin/ 130non et encore une fois non_
131Autre chôse serait si le père Pissaro ou Vignon par 132exemple voudraient me prendre chez eux_– Va 133je suis peintre moi – cela peut s’arranger 134et mieux vaut que l’argent aille pour nourrir 135des peintres qu’à les excellentes soeurs_
136Hier j’ai demandé à brule pourpoint à M_ Peyron: 137puisque vous allez à Paris/ mais que diriez vous 138si je vous proposais de vouloir bien me prendre 139avec vous alors? Il a répondu d’une façon 140évasive – que c’etait trop vite/ qu’il fallait t’écrire 141auparavant_–
142Mais lui est tres bon et tres indulgent pour 143moi et tout en n’etant pas le maitre absolu 144ici/ loin de là/ je lui dois beaucoup de libertés_
145Enfin il ne faut pas seulement faire les tableaux 146mais aussi faut-il voir des gens et – de temps 147en temps par la frequentation d’autres aussi 148se refaire le temperament et s’aprovisionner 149d’idées.– Je laisse de côté l’esperance que 150cela ne reviendrait pas – au contraire il faut 151se dire que de temps en temps j’aurai une 152crise_– Mais alors on peut pour ce temps-là 153aller dans une maison de santé ou même à 154la prison communale où d’habitude il y a un cabanon_ 155Ne te fais pas de mauvais sang dans aucun 156cas – le travail va bien et tiens/ je ne 157saurais te dire combien ca me rechauffe 158parfois de dire/ je vais encore faire 159ceci et cela/ des champs de blé &c_–
160j’ai fait le portrait du surveillant et j’en ai une 161repetition pour toi_13 Cela fait un assez curieux 162contraste avec le portrait que j’ai fait de moi où le 163regard est vague et voilé14 tandis que lui a quelque 164chose de militaire et des yeux noirs petits et vifs_ 165Je lui en ai fait cadeau et je ferai aussi sa femme 166si elle veut poser_15 C’est une femme fanée, une 167malheureuse bien résignée et bien pas grand chôse 168et si insignifiant que moi j’ai grande envie de 169faire ce brin d’herbe poudreux là. J’ai causé quelquefois 170avec elle lorsque je faisais des oliviers derriere leur 171petit mas et alors elle me disait qu’elle ne croyait 172pas que j’étais malade – enfin cela tu le dirais 173à present aussi si tu me voyais travailler la 174pensée claire et les doigts si surs que 175j’ai dessiné sans prendre une seule mesure 176cette pieta de Delacroix où pourtant il y a ces 177quatre mains et bras en avant – gestes et 178tournures de corps pas précisément commodes ou 179simples_–
180Je t’en prie/ envoie moi bientôt la toile si cela 181est possible et puis je crois que j’aurai besoin 182de 10 tubes de blanc de zinc en plus.16
183Cependant je sais bien que la guerison vient/ 184si on est brave/ d’en dedans/ par la grande 185resignation à la souffrance et à la mort/ par 186l’abandon de sa volonté propre et de son 187amour propre. Mais cela ne me vient pas/ 188j’aime à peindre/ à voir des gens et des choses 189et tout ce qui fait notre vie – factice – 190si on veut. Oui la vraie vie serait dans 191autre chôse mais je ne crois pas que 192j’apartiens à cette catégorie d’âmes qui 193sont prêts à vivre et aussi à tout moment prêts 194à souffrir_
195Quelle drole de chôse que la touche/ le coup de brosse_ 196En plein air exposé au vent/ au soleil/ à la curiosité 197des gens/ on travaille comme on peut/ on remplit 198sa toile à la diable. Alors pourtant on attrape le 199vrai et l’essentiel – le plus difficile c’est ça_– 200Mais lorsqu’on reprend après un temps cette 201étude et qu’on arrange ses coups de brosse dans 202le sens des objets – certes c’est plus harmonieux 203et agreable à voir et on y ajoute ce qu’on a 204de serenité et de sourire_
205ah, jamais je ne pourrai rendre mes impressions 206de certaines figures que j’ai vues ici_ Certes c’est 207la route où il y a du neuf la route du midi 208mais les hommes du nord ont du mal à pénétrer_ 209Et je me vois déjà d’avance/ le jour où j’aurai quelque 210succes/ regretter ma solitude et mon navrement d’ici 211lorsque je vis à travers les barreaux de fer du 212cabanon le faucheur dans le champ en bas. 213A quelque chôse malheur est bon_
214Pour reussir/ pour avoir prosperité qui dure 215il faut avoir un autre temperament que le mien/ 216je ne ferai jamais ce que j’aurais pu et dû 217vouloir et poursuivre_
218Mais je ne peux vivre/ ayant si souvent le vertige/ 219que dans une situation de quatrieme/ cinquieme 220rang. Alors que je sens bien la valeur et 221l’originalité et la superiorité de Delacroix/ de Millet par ex./ 222alors je me fais fort de dire/ oui je suis 223quelque chose/ je peux quelque chôse_ Mais il me 224faut avoir une base dans ces artistes-là et 225puis produire le peu dont je suis capable dans 226le même sens.
227Le père Pissaro est donc bien cruellement frappé 228par ces deux malheurs à la fois_17
229Dès que j’ai lu cela j’ai eu cette idée de 230te demander s’il y aurait moyen d’aller 231rester avec lui_
232'Si tu lui payes la même chôse qu’ici/ il y trouvera 233son compte car j’ai pas besoin de grand 233chôse – que de travailler_
234Fais le donc carrément et s’il ne veut 235pas j’irais bien chez Vignon_18
236J’ai un peu peur de Pont Aven/ il y a tant 237de monde. Mais ce que tu dis de Gauguin 238m’interesse beaucoup. Et je me dis toujours 240encore que G_ et moi travaillerons peut etre encore 241ensemble. Moi je sais que G. peut des choses 242encore superieures à ce qu’il a fait mais de le 243mettre à l’aise celui là! J’espère toujours faire 244son portrait_– As tu vu ce portrait qu’il avait fait de moi peignant 245des tournesols_19 Ma figure s’est après tout bien éclairée depuis 246mais c’etait bien moi/ extremement fatigué et 247chargé d’electricité comme j’etais alors.
248Et pourtant pour voir le pays il faut vivre avec le petit 249peuple et dans les petites maisons/ les cabarets &c_ 250Aussi c’etait ce que je disais à Bock qui se plaignait 251de ne rien voir qui le tentât ou lui causait une impression_ 252Je me promène deux jours avec lui et je lui montre 253à faire trente tableaux aussi différents du 254nord que serait le Maroc. Je suis curieux de 255savoir ce qu’il fait dans ce moment.–
256Et puis sais tu pourquoi les tableaux d’Eug_ Delacroix – les 257tableaux religieux et d’histoire/ la barque du Christ20 – la 258pieta/ les croisés/21 ont cette allure. Parceque 259Eug. Delacroix lorsqu’il fait un 260Ghetsemané a été voir auparavant sur place 261ce que c’était qu’un verger d’oliviers et ainsi 262pour la mer fouettée par un dur mistral 263et parcequ’il s’est dû dire/ ces gens desquels 264nous parle l’histoire/ doges de Venise/ 265croisés/ apôtres/ saintes femmes/ étaient 266du meme type et vivaient d’une facon analogue 267à ceux de leurs descendants actuels.
268Aussi dois je te le dire et tu le vois dans 269la berceuse/22 quelque manqué que soit cet 270essai et faible. eussé je eu les forces 271pour continuer j’aurais fait des portraits 272de saints et de saintes femmes d’après 273nature et qui auraient paru d’un autre 274siècle et ce seraient des bourgeois d’à present 275et pourtant auraient eu des rapports 276avec des chretiens fort primitifs_
277Les emotions que cela cause sont cependant 278trop fortes/ j’y resterais – mais plus tard/ 279plus tard je ne dis pas que je ne reviendrai 280pas à la charge.
281Quel grand homme que Fromentin – lui pour 282ceux qui voudront voir l’orient restera toujours 283le guide_ Lui le premier a etabli des 284rapports entre Rembrandt et le midi/ 285entre Potter et ce que lui il voyait.23
286Tu as raison mille et mille fois – il ne faut pas 287songer à tout cela – il faut faire – fût ce des 288etudes de choux et de salade pour se calmer 289et après avoir été calmé alors – ce dont 290on sera capable_–
291Lorsque je les reverrai je ferai des repetitions de cette 292etude de la diligence de Tarascon/24 de la vigne/25 293de la moisson26 et surtout du cabaret rouge/ ce 294café de nuit qui est comme couleur ce qu’il y a 295de plus caracteristique_27 Mais la figure blanche 296au milieu/ juste comme couleur/ doit etre refaite/ 297mieux batie. Mais cela j’ose le dire c’est du 298midi vrai et une combinaison calculée des verts 299avec les rouges.
300Mes forces ont été épuisés trop vite mais je vois de loin 301la possibilité pour d’autres de faire une infinité de 302belles choses. Et encore et encore reste vrai cette idée 303que pour faciliter le voyage des autres il eût ete 304bien de fonder un atelier quelque part dans ces 305environs.
306Faire d’un trait le voyage du nord en Espagne 307par ex. c’est pas bien/ on n’y verra pas ce qu’on doit 308y voir – il faut se faire les yeux d’abord et 309graduellement à l’autre lumiere.
310Moi j’ai pas trop besoin de voir des Titien et 311des Velasquez dans les musées/ j’ai vu certains types 312vivants qui font que je sais mieux ce que c’est qu’un 313tableau du midi à présent qu’avant mon petit voyage_
314Mon dieu/ mon dieu les bonnes personnes dans 315les artistes qui disent que Delacroix n’est pas de 316l’orient vrai_– Tiens l’orient vrai c’est-il alors 317ce qu’ont fait les parisiens tel que Gerome_–
318Parceque vous peignez un bout de mur ensoleillé/ 319même sur nature et bien et vrai selon notre 320façon de voir du nord/ cela prouve-t-il aussi 321que vous ayez vu les gens de l’orient. Or voila 322ce qu’y chercha Delacroix/ ce qui ne l’a 323aucunement empeché de peindre des murs dans 324la noce juive28 et les odalisques_
325N’est ce pas vrai cela – et alors de Gas dit que 326c’est payer ca trop cher de boire dans les cabarets 327en faisant des tableaux/ je ne dis pas non/ 328mais voudrait-il donc que j’aille dans les cloitres 329ou les eglises/ là c’est moi qui ai peur_
330Ce pourquoi je fais un effort d’evasion par 331la présente/ avec force poignées de main 332à toi et à Jo_
334il faut encore que je te felicite à l’occasion 335du jour de naissance de la mère/29 je leur 336ecrivais hier mais la lettre n’est pas encore 337partie à cause de ce que j’ai pas eu la 338tête à moi pour l’achever.
339C’est drôle que déjà auparavant 2 ou 3 fois 340l’idée m’était venue d’aller chez Pissaro/ 341cette fois-ci après que tu me racontes ses 342recents malheurs je n’hesite pas pour te 343le demander.
344Oui il faudra en finir ici/ je ne peux plus 345faire les deux choses à la fois/ travailler et 346me donner mille peines pour vivre avec 347les droles de malades d’ici – ça detraque_ 348En vain je voudrais m’efforcer de descendre_ 349Et voila pourtant près de 2 mois que je 350n’ai pas ete en plein air_30
351A la longue ici je perdrais la faculté de travailler 352or là commence mon halte-là et je les envoie 353alors/ si tu es d’accord/ promener_– Et payer 354encore pour cela/ non/ alors l’un ou l’autre 355dans le malheur parmi les artistes consentira 356à faire ménage avec moi.
357Heureusement que tu puisses écrire que tu te portes 358bien et Jo aussi et que sa soeur est avec vous_31 359Je voudrais bien moi que lorsque ton enfant 360viendra je sois de retour – non pas avec 361vous autres/ certes non/ cela n’est pas possible 362mais dans les environs de Paris avec un 363autre peintre.
364Je pourrais/ pour en citer un troisieme/ aller 365chez les Jouve qui ont beaucoup d’enfants 366et tout un ménage_32
367Tu comprends que j’ai cherché à comparer 368la deuxieme crise avec la première33 369et je ne te dis que ceci/ cela me parait 370plutôt être je ne sais quelle influence 371du dehors qu’une cause venant d’en dedans 372de moi-même_ Je peux me tromper 373mais quoi qu’il en soit je crois que tu 374trouveras juste que j’aie un peu horreur 375de toute exageration religieuse. Je pense 376involontairement au bon André Bonger qui 377lui jeta des hauts cris lorsqu’on voulait
3v:10 378faire des essais sur lui avec je ne sais quel 379onguent. Le bon m_ Peyron te raconteras des 380tas de chose/ de probabilités et possibilités 381d’actes involontaires_– Bon mais s’il précise 382je n’en croirai rien. Et nous verrons alors 383ce qu’il précisera/ si c’est précis. Le traitement 384des malades dans cet hospice est certes facile 385à suivre meme en voyage car on n’y fait 386absolument rien/ on les laisse vegeter dans 387l’oisiveté et les nourrit de nourriture fade 388et un peu avariée. Et je te dirai maintenant 389que dès le premier jour j’ai refusé de prendre 390cette nourriture et jusqu’à ma crise je 391n’ai mangé que du pain et un peu de soupe 392ce que tant que je resterai ici je continuerai cela ainsi_ 393Il est vrai que M. Peyron après cette 394crise m’a donné du vin et de la viande 395que ces premiers jours j’accepte volontiers 396mais ne voudrais pas faire exception au 397règlement longtemps et il est juste de 398considerer l’établissement d’après leur 399regime ordinaire_– Je dois aussi dire 400que M. Peyron ne me donne pas beaucoup d’espoir 401pour l’avenir ce que je trouve juste/ il me 402fait bien sentir que tout est douteux/ que rien 403ne peut être assuré d’avance. Mais moi-même 404j’y compte que cela reviendra mais seulement 405le travail me preoccupe tellement en plein 406que je crois qu’avec le corps que j’ai cela 407continuera longtemps ainsi.– L’oisiveté 408où végètent ces pauvres malheureux est une 409peste et voilà c’est dans les villes & campagnes 410sous ce soleil plus fort un mal général et 411ayant appris autre chôse certes pour moi c’est 412un devoir d’y résister. Je finis cette lettre 413en te remerciant encore de la tienne et 414en te priant de m’écrire de nouveau 415bientôt/ et force poignees de main 416en pensée.–