Je remercie Jo beaucoup de m’avoir écrit1 et sachant que tu désires que je t’ecrive un mot je te fais savoir qu’il m’est fort difficile d’écrire tant j’ai la tête derangée.2 Donc je profite d’un intervalle.
Monsieur le Dr Peyron est bien bon pour moi et bien patient. Tu conçois que j’en suis affligé très profondement de ce que les attaques sont revenues alors que je commencais déjà à espérer que cela ne reviendrait pas.
Tu feras peut etre bien d’ecrire un mot à M. le Dr Peyron pour dire que le travail à mes tableaux m’est un peu nécessaire pour me remettre.
Car ces journées sans rien faire et sans pouvoir aller dans la chambre qu’il m’avait désignée pour y faire ma peinture me sont presqu’intolérables.
J’ai reçu catalogue de l’exposition Gauguin, Bernard, Schuffenecker &c., que je trouve intéressant.3 G. m’a aussi écrit une bonne lettre toujours un peu vague et obscure mais enfin je dois dire que je leur donne bien raison d’avoir exposé entre eux.–
Durant bien des jours j’ai été absolument egaré comme à Arles,4 tout autant sinon pire et il est à présumer que ces crises reviendront encore dans la suite, c’est ABOMINABLE. Depuis 4 jours je n’ai pas pu manger ayant la gorge enflée. Ce n’est pas pour trop m’en plaindre, j’espère, que je te dis ces détails mais pour te prouver que je ne suis pas encore en état d’aller à Paris ou à Pont Aven à moins que ce serait à Charenton.5
Il parait que je ramasse des saletés et que je les mange, quoique mes souvenirs de ces mauvais moments soient vagues et qu’il me paraisse qu’il y ait du louche, toujours pour la même raison qu’ils ont ici je ne sais quel prejugé contre les peintres.–6
Je ne vois plus de possibilité d’avoir courage ou bon espoir mais enfin ce n’est pas d’hier que nous sachions que le métier n’est pas gai.–
Quand même cela me fait plaisir que tu aies reçu cet envoi d’ici, les paysages.–7 Merci surtout de cette eau forte d’après Rembrandt.8 C’est surprenant et pourtant cela me fait encore penser à l’homme au baton de la galerie Lacaze.9 Veux tu me faire un tres très grand plaisir, alors
1r:4 envois en un exemplaire à Gauguin. Puis la brochure Rodin et Claude Monet est bien intéressante.10
Cette crise nouvelle, mon cher frère, m’a prise dans les champs et lorsque j’etais en train de peindre par une journée de vent. Je t’enverrai la toile, que j’ai achevée quand même.11 Et justea c’était un essai plus sobre de couleur mate sans apparence, des verts rompus, des rouges et des jaunes ferrugineux d’ocre, ainsi que je te le disais que par moments je sentais envie de recommencer avec une palette comme dans le nord.–
Je t’enverrai cette toile dès que pourrai. Bonjour, merci de toutes tes bontés, bonne poignée de main à toi et à Jo et naturellement à Cor s’il est encore là.12
Vincent
La mere et Wil m’ont ecrit également une lettre fort bien.
Tout en n’aimant pas outre mesure le livre de Rod j’ai pourtant fait une toile de ce passage où il parle des montagnes et cabanes noiratres.13