1*si je t’écris encore une fois aujourd’hui c’est que ci inclus 2j’ai écrit quelques mots à l’ami Gauguin/1 me sentant le calme revenir 3de ces derniers jours/ il m’a semblé/ suffisamment pour que ma lettre ne soit pas 4absolument absurde. d’ailleurs en subtilisant ses scrupules de respect 5ou de sentiment il n’est pas prouvé qu’on y gagne de la respectuosité 6ou du bon sens_ Cela étant cela fait du bien de recauser avec 7les copains/ soit ce à distance_ Et toi – mon brave – comment 8ça va et écris moi donc quelques mots de ces jours ci – car je 9m’imagine que les émotions qui doivent remuer le prochain père 10de famille/ émotions dont notre bon père aimait tant à parler/ 11doivent chez toi comme chez lui être grandes et de bon aloi 12mais momentanément te sont peu exprimables dans le 13mélange un peu incohérent des petites misères parisiennes_ 14Les réalités de cette sorte ça doit être comme enfin un 15bon coup de mistral/ peu flatteur mais assainissant_ 16Moi cela me fait un plaisir bien grand je te l’assure 17et contribuera beaucoup à me faire sortir de ma fatigue 18morale et peutetre de ma nonchalance.
19Enfin il y a de quoi reprendre un peu de gout à la vie quand 20j’y songe que moi je vais passer à l’état d’oncle de 21ce garçon projeté par ta femme_ Je trouve cela assez drôle 22qu’elle se fait si forte que ce soit un garçon mais enfin/ cela se verra.a
23Enfin en attendant je ne peux faire que tripoter un peu 24dans mes tableaux_ J’en ai un en train d’un lever de lune 25sur le même champ du croquis dans la lettre de Gauguin 26mais où des meules remplacent le blé. C’est jaune d’ocre sourd 27et violet_2 Enfin tu verras dans quelque temps d’ici_
28J’en ai aussi un nouveau en train avec du lierre.3 Surtout 29mon brave je t’en prie/ ne te fais pas de mauvais sang/ inquiétude 30ou mélancolie pour moi/ l’idée que tu t’en ferais certes 31dans cette quarantaine nécessaire et 32salutaire serait peu motivée alors qu’il nous faut un 33redressement lent et patient. Cela si nous arrivons à le 34saisir/ nous epargnons nos forces pour cet hiver. Ici je me figure 35que l’hiver doit être assez maussade/ enfin faudra chercher à s’occuper 36pourtant. Je me figure souvent que je pourrais retoucher 37beaucoup d’études de l’année passée d’Arles cet hiver.
38Ainsi de ces jours ci ayant encore retenu une grande étude 39de verger qui avait été fort difficile (c’est le même verger 40dont tu trouveras une variation/ mais bien vague/ dans l’envoi) 41je me suis mis à la retravailler de tête et je m’y suis 42retrouvé pour exprimer mieux l’harmonie des tons_4
43Dis moi/ as tu recu des dessins de moi_ Une fois je t’en ai envoyé/ 44collis postal/ une demi douzaine et puis plus tard une dizaine_5 Si tu 45ne les as pas reçu par hasard/ cela doit se trouver à la gare depuis des 46jours et des semaines.
47Le medecin me disait de Monticelli qu’il l’avait toujours 48consideré comme excentrique mais que pour fou/ il l’avait 49été un peu vers la fin seulement.6 Considérant toutes les 50misères des dernières années de M./ y a-t-il de quoi s’en étonner 51qu’il ait fléchi sous un poids trop lourd et a-t-on raison lorsque 52de là on voudrait déduire qu’artistiquement parlant il aie manqué 53son oeuvre. J’ose croire que non. il y avait du calcul bien 54logique chez lui et une originalité de peintre qu’il demeure 55regrettable qu’on n’aie pas pu soutenir de façon à en rendre 56l’éclosion plus complète.
57Je t’envoie ci inclus un croquis de cigales d’ici_7
58Leur chant dans les grandes chaleurs a pour moi le même 59charme que le grillon dans le foyer du paysan chez 60nous. Mon brave – n’oublions pas que les petites émotions sont les 61grands capitaines de nos vies et qu’à celles là nous y obéissons sans le 62savoir_ Si reprendre courage sur des fautes commises et à commettre/ 63ce qui est ma guérison/ m’est encore dur/ n’oublions pas dès lors que soit nos spleens et 64mélancolies soit nos sentiments de bonhomie et de bon sens ne 65sont pas nos guides uniques et surtout pas nos gardes définitifs 66et que si tu te trouves toi aussi devant de dures responsabilités à risquer sinon 67à prendre/ ma foi ne nous occupons pas trop l’un de l’autre alors 68que fortuitement les circonstances de vivre dans des états de chôses 69si éloignés de nos conceptions de jeunesse de la vie d’artiste nous 70rendraient frères quand même comme étant à maint égard compagnons 71de sort. Les choses se tiennent tellement qu’ici on trouve des cafards 72dans le manger parfois comme si on était vraiment à Paris/ 73par contre il se pourrait qu’à Paris tu aies parfois une vraie pensée 74des champs_ C’est certes pas grand chôse mais enfin c’est rassurant. 75Prends donc ta paternité comme la prendrait un bonhomme 76de nos vieilles bruyères/ lesquelles à travers tout bruit/ tumulte/ 77brouillard/ angoisse des villes/ nous demeurent/ quelque timide 78que soit notre tendresse/ ineffablement chères. C’est à dire 79prends la ta paternité dans ta qualité d’exilé et d’étranger 80et de pauvre/ désormais se 81basant avec l’instinct du pauvre sur la probabilité d’existence 82vraie de patrie/ d’existence vraie au moins du souvenir/ alors même 83que tous les jours nous oubliions_ Tel tôt ou tard nous trouvons notre 84sort_ Mais certes pour toi comme pour moi il serait un peu 85hypocrite d’oublier notre bonne humeur/ notre laisser aller confiant 86de pauvres diables tels que nous allions dans ce Paris, si étrange 87à présent, tout à fait – et de trop appesantir sur nos soucis.
88Vrai j’en suis si content de ce que si ici parfois il y a des cafards 89dans le manger/ chez toi il y a femme et enfant.
90D’ailleurs c’est rassurant que par exemple Voltaire nous aie laissé 91libres de croire pasb absolument tout de ce que nous nous imaginons. 92Ainsi tout en partageant les soucis de ta femme sur ta santé je ne vais pas 93jusqu’à croire ce que momentanément je m’imaginais que des inquiétudes 94pour moi étaient cause de ton silence à mon égard relativement assez long/8 95quoique cela s’explique si bien lorsqu’on y songe combien une grossesse doit nécessairement 96préoccuper. Mais c’est très bien et c’est le chemin où tout le monde marche 97dans l’existence. à bientôt et bonne poignée de main à toi et à Jo.