1*à l’occasion du premier 2mai je te souhaite une année pas trop 3mauvaise et surtout de la santé.1
4Comme je voudrais pouvoir t’en passer des 5forces physiques/ j’ai un sentiment d’en 6avoir de trop dans ce moment. Ce qui 7n’empêche pas que la tête n’est pas encore 8du tout ce qu’elle devait être.
9Comme Delacroix avait raison/ qui se nourrissait 10de pain et de vin seulement et qui a réussi 11à trouver une façon de vivre en 12harmonie avec son metier.2 Mais toujours 13demeure la fatale question d’argent – Delacroix 14avait des rentes. Corot aussi_
15Et Millet – Millet etait paysan et fils de 16paysan.3 Tu liras peutetre avec quelqu’interêt 17l’article que je découpe dans un journal 18marseillais parce qu’on y entrevoit Monticelli 19et je trouve la description du tableau 20representant un coin de cimetiere fort 21interessante.4 Mais helas c’est une autre 22histoire toujours lamentable.
23Que c’est triste à penser qu’un peintre 24qui réussit/ ne fut ce à demi/ à son tour 25entraine une demie douzaine d’artistes 26encore plus ratés que lui-même_
27Cependant songe à Pangloss/5 songe à Bouvard 28et Pecuchet,6 je le sais, alors même cela 29s’explique mais ces gens-là ne connaissent 30peut etre pas Pangloss ou bien on oublie tout 31ce qu’on en sait sous la fatale morsure des 32desespoirs reels et des grandes douleurs.
33Et d’ailleurs nous retombons sous le nom 34d’optimisme de rechefa dans une religion 35qui m’a l’air d’être l’arrière train 36d’une espece de Boudhisme. Pas de mal 37à cela, au contraire, si l’on veut.–
38Je n’aime pas beaucoup l’article sur Monet dans 39le Figaro/ combien cet autre article dans le 4019me siècle était-il supérieur! Là on voyait 41les tableau et celui ci ne contient que 42des banalités qui me rendent melancolique_7
43Aujourd’hui je suis en train d’emballer une caisse 44de tableaux et d’etudes.
45il y en a une sur laquelle j’ai collé des journeaux 46qui s’ecaille – c’est une des meilleures et je crois 47qu’en la regardant tu verras plus clairement 48ce qu’aurait pu être mon atelier qui a sombré_8 49Cette étude ainsi que quelques autres a été gâtée 50par l’humidité durant ma maladie_9
51L’eau d’une inondation a montée jusqu’à 52quelques pas de la maison10 et à plus forte 53raison la maison étant dans mon absence 54restée sans feu/ en y revenant l’eau 55et le salpètre suintait des murs_
56Cela me faisait de l’effet/ non seulement 57l’atelier sombré/ mais même les etudes 58qui en auraient été le souvenir abimées/ 59c’est si définitif et mon élan pour 60fonder quelque chôse de très simple mais 61de durable était si voulu.– Cela a été 62lutter contre force majeure ou plutôt cela a ete 63faiblesse de caractère de ma part car 64il m’en demeure des remords graves 65difficiles à définir. Je crois que cela a 66été cause que j’ai tant crié dans les 67crises que je voulais me défendre et 68n’y parvenais plus. Car c’était pas à moi/ 69c’etait justement pour des peintres tels que 70le malheureux dont parle l’article ci inclus 71que cet atelier aurait pu servir.
72Enfin il y a eu plus que nous auparavant/ 73Brias à Montpellier y a donné toute une 74fortune et toute une existence et sans le 75moindre resultat apparent_
76Oui – une salle froide de musée municipal où 77l’on voit un visage navré et bien des beaux tableaux/ 78où certes on est emu mais helas emu comme dans 79un cimetière.11
80Cependant difficilement se promènerait-on 81dans un cimetière démontrant plus clairement 82l’existence de cette Esperance qu’a peinte 83Puvis de Chavannes.12
84Les tableaux se fanent comme les fleurs – 85ainsi même des Delacroix avaient soufferts/ 86le magnifique Daniel/13 les Odalisques14 87(tout autres que celles du Louvre/15 c’etait dans une 88seule gamme violacée) mais comme 89cela m’a impressionné ces tableaux 90qui se fanaient là/ peu compris certes 91de la plupart des visiteurs qui regardent 92Courbet et Cabanel et Victor Giraud &c.16
93Que sommes nous/ nous autres peintres_ 94Eh bien je crois que Richepin a souvent 95raison par exemple lorsque/ brutalement y allant/ il les 96renvoie simplement au cabanon dans 97ses blasphèmes.17
98Maintenant pourtant je t’assure que 99je ne connais point d’hospice où l’on 100voudrait me prendre pour rien/ même 101en supposant que je prendrais sur moi 102les frais de ma peinture et laisserais le 103tout de mon travail à l’hospice_
104Et cela c’est peut etre je ne dis pas une 105grande mais enfin une petite 106injustice. Je serais résigné si 107je trouvais cela.– Si j’etais sans 108ton amitie on me renverrait sans remords 109au suicide et quelque lâche que je sois/ je 110finirais par y aller_– Là/ ainsi que 111tu le verras j’espère/ est le joint où il 112nous est permis de protester contre 113la société et de nous défendre_
114Tu peux être passablement sûr que l’artiste 115marseillais suicidé ne s’est aucunement 116suicidé par suite de l’absinthe/ pour la 117simple raison que personne ne lui 118en aura offert et que lui ne doit pas avoir
1r:4 119eu de quoi en acheter. D’ailleurs ce ne sera 120pas pour son plaisir uniquement qu’il aura 121bu mais parcequ’etant dejà malade il se 122soutenait ainsi_–
123M. Salles a été à St Remy – ils ne veulent pas 124me permettre la peinture hors de l’etablissement 125ni me prendre à moins de 100 francs.
126Ces renseignements sont donc bien mauvais_ 127Si en m’engageant pour 5 ans dans la 128légion étrangère je pourrais m’en tirer/ 129je crois que je préférerais cela_
130Car d’une part étant enfermé/ ne travaillant pas 131je guérirai difficilement/ d’autre part 132on nous ferait payer 100 francs par mois 133toute une longue vie de fou durant_
134C’est grave et que veux tu/ qu’on y réfléchisse_ 135mais voudra-t-on me prendre comme soldat? 136Je me sens très fatigué par la conversation 137avec m. Salles et je ne sais trop que faire_ 138J’ai moi recommandé à Bernard de faire son service/ 139ainsi est ce si etonnant que j’y songe d’aller en 140Arabie moi-même comme soldat.
141'Je dis cela pour le cas;b il ne te faudrait pas trop 142me blamer si j’y vais_ Le reste est si vague 143et si étrange.– Et tu sais combien il est dubieuxc 144que jamais on recouvre ce que ça coute de faire 145de la peinture. D’ailleurs il me semble au physique 146me porter bien.
147Si je n’y peux pas travailler que sous surveillance! et 148dans l’etablissement – est ce mon dieu la peine de 149payer de l’argent pour cela!
150Certes à la caserne je pourrais alors tout autant 151et meme mieux travailler_
152Enfin je réflechis/ fais en autant/ sachons 153que tout marche toujours pour le mieux 154dans le meilleur des mondes/18 cela n’est 155pas impossible_ Je te serre bien fortement 156la main_