merci de ta bonne lettre1, merci des bonnes nouvelles qu’elle contenait et aussi du billet de 100 francs. J’ai été très très heureux d’aprendre que tu te sens un peu rassuré par ton mariage. Puis ce qui m’a fait bien plaisir c’est que tu dis que la mère a l’air de rajeunir. Naturellement sous bien peu ou déjà elle va se préoccuper de voir un enfant à toi. Cela c’est sûr & certain.
Je regrette beaucoup pour toi ainsi que pour ta femme que tu ne restesa pas à Ville d’avray par exemple au lieu d’à Paris.– Mais cela viendra j’espère. Le principal c’est maintenant que tu te refasses au lieu de t’éreinter.
J’ai été voir M. Salles avec ta lettre pour le directeur de l’asile de St Remy2 et il y va aujourd’hui même, ainsi fin semaine cela sera j’espère arrangé. Moi je ne serais pas malheureux ni mécontent si d’ici quelque temps je pouvais m’engager dans la legion étrangère pour 5 ans (on a jusqu’à 40 ans je crois).3 Ma santé au point de vue physique va mieux qu’auparavent et cela me ferait peutêtre plus de bien que tout le reste de faire le service. Enfin je ne dis pas qu’on doive ou puisse faire cela sans réfléchir et sans consulter un medecin mais enfin
1v:2 il faut y compter que quoi que nous fassions ce sera un peu moins bien que cela.
Maintenant, sinon, naturellement tant que ça ira il me demeurera de faire de la peinture ou du dessin ce que je ne refuse pas du tout.
Pour venir à Paris ou pour aller à Pont aven je ne m’en sens pas capable, d’ailleurs je n’ai aucun desir vif ni regret vif la plupart du temps. Par moments ainsi contre les sourdes falaises désesperées s’ecrasent les vagues, un orage de désir d’embrasser quelque chôse, une femme genre poule domestique, mais enfin il faut prendre cela pour ce que cela est, un effet de surexitation hysterique plutôt que vision de réalité juste.
D’ailleurs Rey et moi en avons déjà blagué quelquefois car il dit que l’amour est aussi un microbe ce qui ne m’étonnerait pas beaucoup. et ne pourrait gêner personne il me semblerait. Le Christ de Renan4 n’est il pas mille fois plus consolant que tant de christs en papier maché qu’on vous servira dans les etablissements Duval appellés les eglises protestantes, catholiques ou n’importe quoi.5 Et pourquoi n’en serait-il pas ainsi de l’amour.
Je vais, aussitot que je pourrai, lire l’antechrist de Renan, je n’ai aucune aucune idee de ce que cela sera mais je crois d’avance que j’y trouverai une ou deux choses d’ineffables.6
Ah mon cher Theo si tu voyais les oliviers à cette epoque ci... Le feuillage vieil argent & argent verdissant contre le bleu. Et le sol labouré orangeâtre.– C’est quelque chôse de tout autre que ce qu’on en pense dans le nord – c’est d’un fin – d’un distingué.– C’est comme les saules ébranchés de nos prairies hollandaises ou les buissons de chêne de nos dunes, c.à.d. le murmure d’un verger d’oliviers a quelque chose de très intime, d’immensement vieux.
C’est trop beau pour que j’ose le peindre ou puisse le concevoir.
Le laurier rose – ah – cela parle amour et c’est beau comme le Lesbos de Puvis de chavannes où il y avait les femmes au bord de la mer.7 Mais l’olivier c’est autre chôse, c’est si on veut le comparer a quelque chôse, du Delacroix.
Mais brusquement je finis cette lettre, je voulais te parler d’un tas d’autres chôses mais c’est comme je t’ai deja écrit, mes idées ne sont pas rangées.8
J’enverrai ces jours ci petite vitesse 2 caisses tableaux dont il ne faudra pas te gêner d’en detruire pas mal.
J’ai eu une lettre de Wil qui s’en retourne chez Mm Duquesne, une lettre très bien. Ah le cancer – c’est dur et difficile.–
à propos sais tu que c’est très curieux que durant tout cet étrange et inexpliquable mouvement qui a eu lieu à Arles et où j’ai eté mêlé,9 il etait continuellement question du cancer. Je crois que selon leur croyance, à ces vertueux indigènes qui savent si bien l’avenir,10 il parait je crois que selon eux moi je serais gratifié de cette maladie-là. Ce dont moi je ne sais absolument rien naturellement, mais enfin. C’est quand même une aventure qui me demeure absolument inexplicable, d’ailleurs j’ai en grande partie absolument perdu la mémoire de ces jours en question et je ne peux rien reconstituer. Quand bien même j’essayerais de m’en consoler en songeant que des maladies comme cela sont peutêtre à l’homme ce que le lierre est au chêne. Je te serre bien la main et merci bien des fois. à bientôt.