avant que tu ne partes encore quelques mots. de ces jours ci cela va bien. Avant-hier & hier j’ai sorti une heure en ville pour chercher de quoi travailler. En allant chez moi j’ai pu constater que les voisins proprement dits, ceux que je connais, n’ont pas été du nombre de ceux qui avaient fait cette petition.1 Quoi qu’il en soit d’ailleurs j’ai vu que j’avais encore des amis dans le nombre.
M. Salles en cas de besoin se fait fort de me trouver d’ici quelques jours un apartement dans un autre quartier.
J’ai fait venir encore quelques livres pour avoir quelques idées solides dans la tête. j’ai relu la case de l’oncle Tom – tu sais le livre de Beecher Stowe sur l’esclavage2 – les contes de Noel de Dickens3 et j’ai donné à M. Salles Germinie Lacerteux.4
Et voila que pour la 5me fois je reprends ma figure de la Berceuse.5 Et lorsque tu verras cela tu me donneras raison que ce n’est qu’une chromolithographie de Bazar et encore cela n’a même pas le mérite d’être photographiquement correct dans les proportions ou dans quoi que ce soit.
Mais enfin je cherche à faire une image tel qu’un matelot qui ne saurait pas peindre en imaginerait lorsqu’en pleine mer il songe à une femme d’à terre.–
à l’hospice ils sont très très prévenants pour moi de ces jours ci, ce qui – comme bien d’autres chôses – me confond et me rend un peu confus.
Maintenant je m’imagine que tu préférais te marier sans toutes les ceremonies et felicitations d’un mariage et suis bien sûr d’avance que tu les eviteras autant que possible.
Si tu vois Koning ou d’autres et surtout les cousines Mauve & Lecomte6 n’oublie pas de leur dire bien le bonjour de ma part.
Comme ces trois derniers mois me paraissent étranges. Tantot des angoisses morales sans nom, puis des moments où le voile du temps et de la fatalité des circonstances pour l’espace d’un clin d’oeil semblait s’entre ouvrir.
Certes après tout tu as raison, bigrement raison – même en faisant la part à l’espérance il s’agit d’accepter la réalité bien désolante probablement.
J’espère me rejeter tout à fait dans le travail qui est en retard.
Ah il ne faut pas que j’oublie de te dire une chôse à laquelle j’ai très souvent pensée. Par hasard tout à fait dans un article d’un vieux journal je trouvais une parole écrite sur une antique tombe dans les environs d’ici à Carpentras.
Voici cette epitaphe très très très vieille, du temps mettons de la Salambo de Flaubert7
“Thebe, fille de Thelhui, prêtresse d’Osiris, qui ne s’est jamais plaint de personne”.8
Si tu voyais Gauguin tu lui raconterais cela.– Et je songeais à une femme fânée, tu as chez toi l’étude de cette femme qui avait des yeux si étranges, que j’avais rencontree par un autre hasard.9
Qu’est ce que c’est que ça “elle ne s’est jamais plaint de personne”.–
Imaginez une éternité parfaite, pourquoi pas – mais n’oublions pas que la réalité dans les vieux siècles a cela.... “et elle ne s’est jamais plaint de personne”.
Te rappelles tu qu’un Dimanche le brave Thomas venait nous voir et qu’il disait, ah mais – c’est-il des femmes comme cà qui vous font bander.–
Non cela ne fait pas précisément toujours bander mais enfin – de temps en temps dans la vie on se sent épaté comme si on prenait racine dans le sol.
Maintenant tu me parles du “vrai midi” et moi je disais que enfin il me semblait que c’était plutôt à des gens plus complets que moi d’y aller.–10
Le “vrai midi”, n’est ce pas un peu là où l’on trouverait une raison, une patience, une sérénité suffisante pour devenir comme cette bonne “Thèbe – fille de Telhui – prêtresse d’Osiris – qui ne s’est jamais plaint de personne”.
À côté de cela je me sens je ne sais quel être ingrat.
A toi et à ta femme à l’occasion de ton mariage voilà le bonheur, la sérénité que je demanderais pour vous deux, d’avoir intérieurement ce vrai midi-là dans l’âme.
Si je veux que cette lettre parte aujourd’hui faut que je la termine. poignée de main, bon voyage, bien des choses à la mere & la soeur.