merci de ta lettre – que je viens de recevoir. A plus forte raison puisque je préfère dans ce cas ci avoir tort que raison, certes nous sommes absolument absolument d’accord en tant que quant au raisonnement que tu fais dans ta lettre. C’est aussi comme cela que j’envisage moi la chôse.1
Il y a de neuf que M. Salles s’occupe je crois de me trouver un appartement dans un autre quartier de la ville. Cela je l’approuve car je ne serais pas contraint ainsi à un déménagement immédiat – je garderais un pied à terre – et puis certes je pourrais faire un tour jusqu’à Marseille ou plus loin pour trouver mieux. Il est bien brave et bien devoué M. Salles et c’est un heureux contraste avec d’autres ici. Enfin. Voilà tout ce qu’il y a de neuf pour le moment. Si de ton côté tu écrirais, cherche à influencer que j’aie le droit de sortir en ville néamoins.
Pour autant que j’en puisse juger je ne suis pas fou proprement dit.
Tu verras que les toiles que j’aie faites dans les intervalles sont calmes et pas inferieures à d’autres.2 Le travail me manque plutôt qu’il ne me fatigue.
Cela me ferait certes plaisir de voir Signac s’il faut que quand même il passe par ici.3 Il faut alors qu’ils me laissent sortir avec lui pour lui montrer mes toiles.
Puis peut-être aurait ce été bien que je l’accompagne où il va et que nous eussions cherché à nous deux un nouvel endroit mais voilà justement cela n’étant guère probable, à quoi bon qu’il se dérange exprès pour venir me voir.
Ce que je trouve excellent dans ta lettre c’est que tu dis que sur la vie il ne faut aucunément se faire des illusions.
Il s’agit de gober la réalité de son sort et voilà. J’ecris à la hâte pour faire partir cette lettre qui pourtant ne te parviendra peut être que Dimanche et que Signac sera déjà parti. Je n’y peux rien.
Tout ce que je demanderais serait que des gens que je connais même pas de nom (car ils ont bien eu soin de
1r:3 faire ainsi que je ne sache pas qui a envoyé cet ecrit en question) ne se mêlent pas de moi quand je suis en train de peindre, de manger ou de dormir ou de tirer au bordel un coup (n’ayant pas de femme).– Or ils se mêlent de tout cela.4
Mais quand bien même je m’en moque profondément – si ce n’était pour le chagrin que bien involontairement je te cause ainsi ou plutôt qu’eux ils causent – et pour le retard dans le travail &c.
Ces émotions répétées et inattendues, si elles devraient continuer, pourraient changer un ébranlement mental passager momentané en maladie chronique. Sois assuré que si rien n’intervient je serais à même actuellement de faire le même travail & peut etre mieux dans les vergers que j’ai fait l’autre année.5 Maintenant soyons fermes autant que possible et en somme ne nous laissons pas trop marcher sur le pied. Dès le commencement j’ai eu de l’opposition bien méchante ici. Tout ce bruit fera du bien naturellement à l’“impressionisme” mais toi et moi personellement nous souffrirons pour un tas de cons et de lâches.
Il y a de quoi garder son indignation pour soi n’est ce pas. Déjà j’ai vu sur un journal ici un article très bien reellement sur la litterature décadente ou impressioniste6 – mais à toi ou à moi, que nous font ces articles de journaux &c. Comme dit mon brave ami Roulin “c’est servir de piedestal à d’autres”. Au moins desirait on savoir à quoi ou à qui pourtant n’est-ce pas. alors on ne saurait s’y opposer. Mais servir de pied de stal à quelque chôse qu’on ignore c’est agaçant.
Enfin tout cela n’est rien pourvu que tu marches bien droit à ton but – ton foyer assuré c’est beaucoup gagné pour moi aussi et cela fait nous pouvons peutetre retrouver une voie plus paisible après ton marriage.–
Si tôt ou tard je devenais réellement fou je crois que je ne voudrais pas rester ici à l’hôpital mais justement pour le moment je veux encore sortir d’ici librement. Car si je me comprends encore un peu il y aura entre ici & là un intervalle.
Le mieux pour moi serait certes de ne pas rester seul mais je préférerais demeurer éternellement dans un cabanon que de sacrifier un autre existence à la mienne. Car le métier de peintre est triste et mauvais au temps qui court.– Si j’étais catholique j’aurais la ressource de me faire moine mais ne l’étant pas précisément, comme tu le conçois, je n’ai pas cette ressource. l’administration de l’hospice est – comment dirai je – jesuite, ils sont très très fins, très savants, très puissants, même impressioniste..... ils savent prendre des renseignements d’une subtilité inouië – mais – mais – cela m’étonne et me confond – pourtant.......
Enfin voila un peu la cause de mon silence, donc tiens toi separé de moi pour les affaires et en attendant je suis après tout un homme aussi, tu sais, je me debrouillerai, pour ce qui me regarde, à moi seul pour des questions de conscience.
Je te serre bien la main en pensée, dis à ta fiancée, à la mère et à la soeur de ne pas s’inquieter pour moi et de croire que je suis en bonne voie de guerison.