j’aurais préféré te répondre aussitôt à la bien bonne lettre contenant 100 francs mais justement étant très fatigué à ce moment-là et le medecin1 m’ayant ordonné absolument de me promener sans travail mental, ce n’est par suite de cela qu’aujourd hui que je t’ecris. Pour le travail le mois n’a en somme pas été mauvais et le travail me distrait ou plutôt me tient reglé, alors je ne m’en prive pas.
J’ai fait la berceuse trois fois,2 or Mme Roulin étant le modèle et moi n’etant que le peintre je lui ai laissé choisir entre les trois, elle et son mari, seulement en conditionnant que de celle qu’elle prendrait j’en ferais encore une répétition pour moi laquelle actuellement j’ai en train.3
Tu me demande si j’ai lu la Mireille de Mistral – je suis comme toi, je ne peu pas la lire que par fragments de la traduction. Mais toi l’as tu déjà entendue car peut-etre sais-tu que Gounod a mis cela en musique.4 Je crois au moins.– Cette musique-là naturellement je l’ignore et même en l’ecoutant je regarderais plutôt les musiciens que d’écouter.
1v:2 Mais je peux te dire ceci que la langue originale d’ici en paroles est d’un musical dans la bouche des arlésiennes que cela ma foi oui je en attrappe par moments des fragments.
Peut etre dans la berceuse il y a un essai de petite musique de couleur d’ici, c’est mal peint et les chromos du bazar sont infiniment mieux peints techniquement mais quand même.–
Ici – la ainsi nommée bonne ville d’Arles est un drôle d’endroit que pour de bonnes raisons l’ami Gauguin appelle le plus sale endroit du midi.
Or Rivet, s’il voyait la population serait certes à des moments désolé en redisant “vous êtes tous des malades” – comme il le dit de nous. Mais si vous attrappez la maladie du pays ma foi après vous ne pouvez plus l’attrapper.
Ceci pour te dire que pour moi je ne me fais pas d’illusions. Cela va fort fort bien et je ferai tout ce que dira le médecin mais...
lorsque je suis sorti avec le bon Roulin de l’hopital je me figurais que je n’avais rien eu, après seulement j’ai eu le sentiment que j’avais été malade. Que veux tu, j’ai des moments où je suis tordu par l’enthousiasme ou la folie ou la profetie comme un oracle grec sur son trépied.5
j’ai alors une grande présence d’esprit en paroles et parle commes les arlésiennes mais je me sens si faible avec tout cela. Surtout lorsque les forces physiques reprennent. Mais au moindre symptome grave j’ai déjà dit à Rey que je reviendrais et alors me soumettrais aux medecins alienistes d’Aix6 ou à lui-même.
Qu’est ce que cela peut nous faire autre chôse que du mal et nous causer que de la souffrance, si nous ne nous portons pas bien, à toi ou à moi.
Notre ambition a tellement sombré. Alors travaillons bien tranquillement, soignons nous tant que nous pouvons et ne nous épuisons pas en efforts stériles de générosité réciproque.
Toi tu feras ton devoir et moi je ferai le mien, en tant que quant à cela nous avons déjà tous les deux payé autrement qu’en paroles et, au bout de la route, possible qu’on se reverra tranquillement. Mais moi alors que dans mon délire toutes choses tant aimées remuent, je n’accepte pas cela comme réalité et ne fais pas le faux prophète.
la maladie ou la mortalité ma foi cela ne m’épate pas mais l’ambition n’est pas compatible, heureusement pour nous, avec les metiers que nous faisons.
D’ailleurs il y a tant de gens qui pensent ainsi, dans plusieurs cathégories de la societé, du plus haut jusqu’au plus bas.
Mais comment se fait-il que tu penses aux clausules du mariage et à la possibilite de mourir à ce moment, n’aurais tu pas mieux fait d’enfiler ta femme tout simplement préalablement. Enfin cela c’est dans les moeurs du nord et dans le nord c’est pas moi qui dise qu’on n’aie pas de bonnes moeurs.
Cela reviendra allez.
Mais moi qui n’ai pas le sou, dans ce cas ci je dis toujours que l’argent est une monnaie et la peinture en est une autre. Et je suis déjà à meme à te faire un envoi dans le sens mentionné dans les ecritures précédentes.7 Mais il s’agrandira si les forces me reviennent.
Ainsi je voudrais seulement qu’en cas que Gauguin, qui a un complet béguin pour mes tournesols, me prenne ces deux tableaux,8 qu’il te donne à ta fiancee ou à toi deux tableaux de lui pas médiocres mais mieux que médiocres. Et s’il prend une édition de la berceuse à plus forte raison il doit de son côté aussi donner du bon.–9
Sans cela je ne pourrais pas compléter cette série de laquelle je te parlais, qui doit pouvoir passer dans la meme petite vitrine que nous avons tant regardée.10
La valeur d’un tableau dans un cas comme ça est hors de cause et je me déclare pas expert. Demeure que ma position sociale peut m’etre aussi chère qu’à toi serait la tienne de bon employé.
Et que je ne dis que ceci, je tiens autant que toi à une honetteté de frères vis à vis l’argent de Boussod. Ça nous n’y avons jamais mal servi. Et nous nous somme trop ereinté pour bien agir que de pouvoir nous facher au titre de voleurs ou incapables, d’ailleurs je n’insiste pas.
Pour les Independants il me semble que six tableaux c’est la moitié de trop. A mon goût la moisson11 et le verger blanc12 sont assez avec la petite provencale13 ou le semeur14 si tu veux. Mais cela m’est si egal. j’y tiens seulement à te causer un jour une impression plus profondément consolante dans notre métier de peinture que nous faisons par une collection d’une 30taine d’etudes plus serieuses.
cela prouvera toujours à nos vrais amis comme Gauguin, Guillaumin, Bernard &c. que nous sommes dans le travail de production.
Eh bien pour la petite maison jaune, en payant mon loyer le gerant du proprietaire15 a été tres bien et s’est conduit en arlesien, me traitant d’égal.
Alors je lui ai dit que je n’avais pas besoin ni de bail ni de promesse de preference écrite et que moi en cas de maladie ne payerais pas qu’à l’amiable.
Ici les gens ont du fond du côté du coeur et une chôse dite est plus sure qu’une chose écrite. Donc je garde la maison provisoirement puisque j’ai besoin pour ma guérison mentale de me sentir ici chez moi.
Maintenant pour ton déménagement de la Rue Lepic à la rue Rodier16 je ne peux pas avoir d’opinion, n’ayant pas vu, mais le principal est que justement toi aussi déjeunes chez toi avec ta femme. En restant à Montmartre tu auras plus vite été décoré et ministre des beaux arts mais comme tu ne tiens pas à cela mieux vaut la tranquilité chez soi, alors je te donne tout à fait raison.
Moi aussi je suis un peu comme ca – au gens du pays qui me demandent après ma santé je dis toujours que je commencerai par en mourir avec eux et qu’après ma maladie sera morte.
Cela ne veut pas dire que je n’aurai pas des temps considerables de repit.
Mais une fois qu’on est malade pour de vrai on sait bien que l’on ne peut pas attrapper deux fois la maladie, c’est la meme chose que la jeunesse ou la vieillesse, la santé ou la maladie.
Seulement sache le bien que moi comme toi je fais ce que me dit lemédecin tant que je peux. et que je considère cela comme une partie du travail et du devoir qu’on a à accomplir.
Je dois dire ceci que les voisins &c.17 sont d’une bonté particulière pour moi, tout le monde souffrant ici soit de fievre soit d’hallucination ou folie, on s’entend comme des gens d’une même famille.
J’ai été hier revoir la fille où j’étais allé dans mon égarement.18 On me disait là que des chôses comme ça ici dans le pays n’a rien d’étonnant. Elle en avait soufferte et s’etait évanouie mais avait repris son calme. Et d’ailleurs on dit du bien d’elle.
Mais pour me considérer moi comme tout à fait sain, il ne faut pas le faire.
Les gens du pays qui sont malades comme moi me disent bien la vérité. On peut vivre vieux ou jeune mais on aura toujours des moments où l’on perd la tête.
Je ne te demande donc pas de dire de moi que je n’ai rien ou n’aurai rien.
Seulement le Ricord de cela c’est probablement Raspail.19 Les fievres de pays je ne les ai pas encore euses et cela aussi je pourrais encore les attrapper. Mais ici on est déjà malin dans tout cela à l’hospice et donc du moment qu’on n’a pas de fausse honte et dit franchement ce qu’on sent on n’y peut mal.
Je termine cette lettre pour ce soir, avec bonne poignee de main en pensee.