la toile de Gauguin, Enfants Bretons, est arrivée et il l’a très très bien changée.1
Mais quoique j’aime assez cette toile c’est d’autant mieux qu’elle soit vendue puisque les deux qu’il va t’envoyer d’ici sont trente fois meilleures.
Je parle des vendangeuses et de la femme aux cochons.2 La raison de cela est que G. commence à surmonter son mal de foie ou d’estomac qui dans les derniers temps l’a agacé.
Maintenant je t’ecris pour répondre à ce que tu me disais que tu ferais encadrer une petite toile d’un pêcher rose je crois, pour mettre ca chez ces messieurs.3
Je ne veux pas laisser dans le vague ce que je pense de cela.
D’abord si tu as envie toi d’y mettre là soit une mauvaise soit une bonne chose de moi, ma foi si cela peut augmenter ton bonheur bien sûr que soit à présent soit plus tard tu as et tu auras carte blanche.
Mais si c’est pour soit mon plaisir soitpour mon avantage à moi par contre serais d’avis que c’est completement innecessaire.
Me demanderais tu ce qui me ferait plaisir, c’est tout simplement une seule chôse, que tu gardes pour toi dans l’apartement ce que tu aimes dans ce que je fais et que tu n’en vendes pas maintenant.
Le reste, ce qui encombre, renvoie le moi ici pour cette bonne raison que tout ce que j’ai fait sur nature c’est des marrons pris dans le feu.
Gauguin malgré lui et malgré moi m’a un peu demontré qu’il etait temps que je varie un peu – je commence à composer de tête et pour ce travail-là toutes mes etudes me seront toujours utiles lorsqu’ellesa me rappelleront d’anciennes chôses vues.
Qu’importe-t-il donc d’en vendre si nous ne sommes pas absolument pressés d’argent.
Car je suis d’ailleurs sûr d’avance que tu finiras par voir la chose comme cela.–
Tu est, toi, chez les Goupil mais moi certes pas, de part et d’autre après avoir pourtant travaillé là-dedans 6 ans4 nous étions absolument mécontent de tout, eux de moi, moi d’eux. C’est une vieille histoire mais quand même tel est le cas.
Continue donc toi ton chemin mais pour le commerce il me semble incompatible avec ma conduite precedente de revenir là avec une toile d’une telle innocence que ce petit pêcher ou autre chose ainsi. Non.– Si dans un an ou deux ans j’ai de quoi faire une exposition de moi seul, une trentaine de toiles de trente mettons –
Et si je leur disais, voulez vous me la faire, Boussod certes m’enverrait promener. Les connaissant helas un peu trop, je crois que je ne m’adresserai pas à eux. Non pas que jamais je chercherais à demolir quoi que ce soit, au contraire tu devras admettre que j’y pousse tous les autres avec zèle.–
Mais moi, ma foi j’ai une vieille dent contre eux.
Sois sûr et certain que je te considère comme marchand de tableaux impressioniste, comme très independant des Goupil, que donc ce sera toujours un plaisir pour moi de pousser les artistes là-dedans. Mais je ne veux pas que jamais Boussod aye possibilité de dire “cette petite toile n’est pas trop mal pour ce jeune commençant”, comme si jamais auparavent...
Au contraire je ne reviendrai pas chez eux, j’aime mieux ne jamais vendre que d’y entrer autrement que très carrement. Or eux c’est pas des gens à agir carrement donc c’est pas la peine de recommencer.
Sois assuré que plus nous tranchons nettement cela plus ils viendront chez toi les voir. Toi tu ne les vends pas donc tu ne fais en montrant mon travail un commerce hors la maison Boussod, V. & Cie. Tu agiras ainsi droitement et cela est respectable.
L’un ou l’autre veut il acheter pourtant, bon ils n’ont alors qu’à s’adresser directement à moi. Mais sois en sûr: Si nous pouvons soutenir le siege mon jour viendra. Je ne peux ni ne dois dans ce moment faire autre chose que travailler.
Une chôse pourtant peutetre, je vais encore répondre à Jet Mauve, la dire un tas de choses sur Gauguin &c.&c., lui envoyer des croquis et indirectement Tersteeg aura encore des bourdonnements dans les oreilles. Gauguin et moi causons souvent de la necessité de faire des expositions à Londres et peut etre nous t’enverrons une lettre à Tersteeg à lire. C’est que si Tersteeg aie un successeur energique – ce jour approche – celui là ne pourra travailler qu’avec les nouveaux tableaux.
Poignée de main – il nous faudra encore quelques couleurs.
Je dois encore te dire que le mois à deux se fait mieux à 150 chacun que moi à 250 à moi seul. Au bout d’une année tu t’apercevras que cela marche pourtant.
Je ne peux encore rien dire de plus. Je regrette un peu d’avoir la chambre pleine de toiles et de ne rien avoir à envoyer lorsque Gauguin enverra les siennes.
C’est que les choses empatées, Gauguin m’a dit comment les degraisser par des lavages de temps à temps.–5
d’ailleurs cela fait je dois les reprendre pour les retoucher.
Si je t’en envoyais maintenant, la couleur en serait plus terne qu’elle ne le sera plus tard.
Ce que j’ai envoyé, ils trouvent tous que c’est fait trop à la hâte.6 je ne dis pas non et je ferai de certains changements.
Cela me fait enormement du bien d’avoir de la compagnie aussi intelligente que Gauguin et de le voir travailler.7 Tu verras que de certains vont reprocher à G. de ne plus faire de l’impressionisme.
Ses deux dernieres toiles que tu vas voir sont très fermes dans la pâte,8 il y a du travail au couteau meme. Et ça enfoncera ses toiles Bretonnes un peu, pas tous mais certaines.
J’ai presque pas le temps d’ecrire, sans cela j’aurais déjà écrit à ces Hollandais.9 J’ai encore eu une lettre de Bock, tu sais ce belge qui a une soeur dans les vingtistes. il travaille avec plaisir là-haut.10
J’espère bien qu’on restera toujours en amitié et en affaire avec Gauguin et s’il reussit à fonder un atelier tropical ce serait magnifique.
Mais pour cela il faut selon mon calcul plus d’argent que selon le sien.
Guillaumin a écrit à Gauguin, il parait bien dans la dèche mais doit avoir fait du beau. il a maintenant un enfant11 mais il est terrifié par l’accouchement
et dit toujours avoir devant les yeux “la vision rouge” de cela. seulement Gauguin lui a très bien répondu disant que lui G. avait vu cela 6 fois.12
Jet Mauve va beaucoup mieux quant à la santé et comme tu sais peutetre resteb à la Haye depuis Aout dernier pres du cimetière juif, ainsi presqu’à la campagne.13
Tu n’y perdras rien en attendant un peu mon travail et nous laisserons nos chers copains tranquillement mépriser les actuelles.
Heureusement pour moi je sais assez ce que je veux qu’ils ne croient et suis d’une extrême indifférence pour la critique de travailler à la hâte, au fond.
En reponse j’en ai fabriqué de ces jours ci encore plus à la hâte.14
Gauguin me disait l’autre jour – qu’il avait vu de Claude Monet un tableau de tournesols dans un grand vase japonais très beau.15 mais – il aime mieux les miens.–16
Je ne suis pas de cet avis – seulement ne crois pas que je sois en train de faiblir. Je regrette comme toujours, ainsi que cela t’est connu, la rareté des modèles, les mille contrarietes pour vaincre cette difficulté-là.
Si j’etais un tout autre homme et si j’etais plus riche je pourrais forcer cela, actuellement je ne lâche pas et mine sourdement.c
Si à quarante ans je fais un tableau de figures tel que les fleurs dont parlait Gauguin
2r:8 j’aurai une position d’artiste à côté de n’importe quoi.
Donc perséverance.
En attendant je peux toujours te dire que les deux dernieres etudes sont assez drôle. Toiles de 30, une chaise en bois et en paille toute jaune sur des carreaux rouges contre un mur (le jour).17 Ensuite le fauteuil de Gauguin rouge et vert, effet de nuit, mur et plancher rouge et vert aussi, sur le siege deux romans et une chandelle.18
Ce que je dis de renvoyer des etudes cela ne presse aucunement et il s’agit des mauvaises qui pourtant me serviront de documents – ou de celles qui t’encombrent l’apartement.– Puis ce que je dis en general des etudes, je tiens à une seule chôse, que la position soit nette. ne fais pas d’affaire pour moi hors la maison; moi ou bien je ne rentrerai jamais chez les Goupil ce qui est plus que probable, ou bien j’y rentrerai carrement ce qui est assez impossible.
Poignée de main encore une fois et merci de tout ce que tu fais pour moi.