une chôse qui m’a fait bien plaisir c’est que j’ai reçu enfin une réponse de Mme Mauve.1
Désirant lui écrire de ces jours ci je te prierai de m’envoyer de suite et sans faute son adresse actuelle. Sa lettre était datée de la Haye mais elle ne dit pas si elle y restera, moi je croyais qu’elle avait continué à restera à Laren.2
Elle dit avoir eu aussi une bonne lettre de toi.
J’ai reçu ta lettre datée de Middelharnis et t’en remercie bien. tu fais bien d’avoir enfin commencé à lire au bonheur des dames &c.3
Il y a tant de chôses là-dedans comme dans Guy de Maupassant aussi.
Je t’ai déjà répondu que je n’aimais pas énormément le portrait de la mère.4 Je viens maintenant de peindre pour le mettre dans ma chambre à coucher un souvenir du jardin à Etten et en voici un croquis.– C’est une toile assez grande.5
Voici maintenant pour la couleur. Des deux promeneuses la plus jeune porte un châle écossais carrelé vert et orangé et un parasol rouge. La vieille a un châle violet bleu presque noir. Mais un bouquet de dahlias, jaune citron les unes, panachées roses et blanches les autres, vient éclater sur cette figure sombre.
Derriere elles quelques buissons de cèdre ou de cyprès d’un vert émeraude. Derrière ces cyprès on entrevoit un parterre de choux vert pâles et rouges bordé d’une rangée de fleurettes blanches. Le sentier sablé est orangé cru, la verdure de deux parterres de geraniums écarlates est très verte. Enfin au deuxieme plan se trouve une servante vêtue de bleu qui arrange des plantes à profusion de fleurs blanches, roses, jaunes et rouges vermillon.
Voilà je sais que cela n’est peutêtre guère ressemblant mais pour moi cela me rend le caractère poétique et le style du jardin tel que je les sens.
De même supposons que ces promeneuses soient toi et notre mère. Supposons alors même qu’il n’y aurait aucune, absolument aucune ressemblance vulgaire et niaise, le choix voulu de la couleur, le violet sombre violemment tachée par le citron des dahlias, me suggère la personalité de la mère.
La figure en plaid ecossais carrelé orange et vert se détachant sur le vert sombre du cyprès, ce contraste encore exagéré par le parasol rouge, me donne une idée de toi, vaguement une figure comme celles des romans de Dickens.
Je ne sais si tu comprendras que l’on puisse dire de la poésie rien qu’en bien arrangant des couleurs, comme on peut dire des choses consolantes en musique. de même les lignes bizarres cherchées et multipliées serpentant dans tout le tableau doivent non pas donner le jardin dans sa ressemblance vulgaire mais nous le dessiner comme vu dans un rêve à la fois dans le caractère et pourtant plus étrange que dans la realité.
J’ai maintenant peint aussi une liseuse de romans.
Voila pour aujourd’hui. Mais je me souviens ne pas encore t’avoir dit que mon ami Paul Gauguin, peintre impressioniste, vit maintenant avec moi et que nous sommes très heureux ensemble, il m’encourage beaucoup à travailler souvent en pleine imagination.
Tu diras bien des chôses à la mère de ma part et ecris sans faute et par retour l’adresse de Mme Mauve. Je vous embrasse en pensée, la mere et toi.