Certes cela me fait grand plaisir de ce que tu dis de deux nouveaux amis.1
Mais cela m’étonne pourtant que tu me parles d’eux et de leur cadre (de, à ce que j’ai bonne memoire, 2000 fr.) mais que tu ne dis pas le moindre mot de ce qu’il y avait dans ce cadre ni le moindre mot de ce qu’ils ont fait en tableaux.–
C’est que peut être tu crois que j’en aurais pu entendre parler mais je te déclare que c’est pour la première fois que j’entende parler de cette affaire et même d’eux mêmes.– Je ne suis donc pas encore au courant et désirerais savoir donc: “va pour le cadre mais qu’est ce qu’il y avait dedans et que font-ils actuellement”.–2
Après je serai certes davantage à même de me faire une idée de ce qu’etaient leurs conversations avec toi et Pissarro, une fois que je serai au courant de ce qu’eux-même font.–
Dans tous les cas cela prouve une chose c’est que les artistes Hollandais aient parlé de toi comme étant le marchand de tableaux impressionistes, ce qu’il ne faut pas perdre de vue.
Puis qu’ont ils racconté sur l’art Hollandais, sur Breitner, sur Rappard, sur d’autres, puis enfin que disent ils de Tersteeg.–
Gauguin écrit avoir déjà expédié sa malle et promet venir vers le 20 de ce mois ci donc dans quelques jours. Ce dont je serai bien content car j’ose croire que cela nous fera du bien de part & d’autre.–
Ecris moi donc bientot des details sur la peinture de tes nouveaux amis, et si reellement c’est des peintres qui cherchent encore à faire du progrès dans l’inédit, hardiment recommande leur le midi. Qu’une nouvelle école coloriste prendra racine dans le midi, j’y crois voyant de plus en plus que ceux du nord se fondent plutôt sur l’habileté de la brosse et l’effet dit pittoresque que sur le désir d’exprimer quelque chose par la couleur même.
Cela m’a fait bien plaisir d’avoir de tes nouvelles mais cela m’étonne tant de ne pas savoir ce qu’il y avait dans ce cadre.–
Ici sous le soleil plus fort j’ai trouvé vrai ce que disait Pissarro et d’ailleurs ce que m’ecrivait Gauguin la meme chose. la simplicite, le decoloré, le grave des grands effets de soleil.3
Jamais dans le nord on soupçonnera ce que c’est. Et si ceux ci d’artistes au monstrueux cadre veulent sérieusement voir du neuf qu’ils aillent chez Bing et puis dans le midi.
Moi j’ai déjà des battements de coeur pour commander mes cadres en sapin à 5 francs.– C’est comme ce que je disais à Russell pour sa maison,4 que celle d’ici couterait plusieurs fois moins de billets de cent que la sienne de billets de mille et que pourtant même sans R. on travaillait pour Gauguin.
Ont-ils vu du Seurat, ces messieurs au cadre. Je pense que je préférerais le cadre de Seurat5 au leur comme invention.
Oui, parlant de Seurat – est ce que tu l’as déjà revu.
Pour ce qui est de la vente, certes je te donne raison de ne pas la rechercher expres, certes je prefererais moi ne jamais vendre si la chôse pouvait se faire.–
Mais si nous y etions pourtant obligés, certes après les antecedents nous n’avons plus d’alternative, quand bien meme qu’un jour cela deviendrait nécessaire nous ne pourrions pas mieux faire que de ne pas presser.
Je te serre bien la main et j’espère que tu me diras ce qu’il y avait en définitive dans le cadre. Et à nos nouveaux amis bien des chôses et de la chance que je leur souhaite.
S’ils veulent voir du neuf certes qu’ils aillent dans le midi ou Afrique ou en Sicile si c’est l’hiver. Mais il n’y a – s’ils ont de l’originalité – que le midi franc qui leur montrera autre chose que la Hollande. J’espère à bientot, que tu m’ecriras de nouveau. bonne poignée de main.
j’ajoute encore un mot pour te dire que j’ai terminé cet après midi la toile representant la chambre à coucher.6
Cela me fait dans tous les cas bien plaisir que tu aies rencontré ces Hollandais. Il se pourrait tout juste que j’aie pourtant entendu parler de ce grand tableau mais alors pas du cadre. Dans le temps Rappard m’a racconté une histoire (en louant le tableau & le peintre) et je verrai bien si c’est du même tableau qu’il s’agirait lorsque tu m’auras parlé de ce qu’ils font.
Quoi qu’il en soit mon cher frère, voyons, si tu te plains de ne rien avoir dans la caboche en fait de pouvoir produire de bonnes chôses, voyons alors à bien plus forte raison dois je moi sentir aussi une melancolie pareille. Je ne ferais rien de rien sans toi, et voilà, ne nous montons pas le cou pour ce que nous produisons ainsi à nous deux mais fumons nos pipes en paix d’autre part, sans trop nous tourmenter jusqu’à la melancolie de ne pas produire séparement et avec moins de douleur.
Certes à des moments moi je voudrais bien pour changer pouvoir faire un peu de commerce et ainsi faisant gagner quelqu’argent de mon côté.
Mais acceptons, puisque nous ne pouvons pour le moment rien y changer, cette fatalité que toi sois toujours condamné au commerce sans repos ou variation et moi du mien c’est aussi sans repos, toujours du travail bien fatiguant et absorbant pour la tête.
Dans un an j’espère que tu sentiras qu’à nous deux nous avons fait une chôse artistique.
Cette chambre à coucher est quelquechôse comme cette nature morte des romans Parisiens à couvertures jaunes, roses, vertes,7 tu te rappelles. Mais je crois que la facture en est plus mâle et plus simple.
Pas de pointillé, pas de hachures, rien, des teintes plates mais qui s’harmonisent. Je ne sais ce que j’entreprendrai après car j’ai toujours la vue encore fatiguée.
Et dans ces moments-là, juste après le travail dur et plus qu’il est dur, je me sens la caboche vide aussi, allez. Et si je voulais me laisser aller à cela rien ne me serait plus facile que de détester ce que je viens de faire et de donner des coups de pied dedans comme le père Cézanne.8 Enfin, pourquoi donner des coups de pieds dedans – laissons les études tranquilles et seulement si on n’y trouve rien, bon, si on y trouve ce qu’on appelle du bon, ma foi tant mieux.
Enfin, n’y réflechissons pas trop profondement au bien et au mal, cela étant toujours bien relatif.
C’est juste le defaut des hollandais d’appeler une chose absolument bien et une autre absolument mal, ce qui n’existe pas du tout aussi raide que cela.
Tiens j’ai aussi lu Cesarine de Richepin, il y a des chôses bien là-dedans – la marche des soldats en déroute, comme on sent leur fatigue – ne marchons nous pas sans etre soldats aussi quelquefois dans la vie.–
La querelle du fils et du père est bien navrante9 mais c’est comme “la glu” du même Richepin,10 je trouve que cela laisse aucun espoir tandis que Guy de Maupassant, qui a ecrit des choses certes aussi tristes, à la fin fait finir les chôses plus humainement. Voir Monsieur Parent,11 voir Pierre et Jean,12 cela ne finit pas par le bonheur mais enfin les gens se résignent et vont tout de même. Cela ne finit pas par du sang, des atrocités tant que cela, allez. Je préfère bien Guy de Maupassant à Richepin, pour être plus consolant. Actuellement je viens de lire Eugénie Grandet de Balzac. l’histoire d’un paysan avare.13 à bientôt j’espère.
t. à t.
Vincent
Vrai, si nous ne produisons pas des tableaux à cadres comme ces Hollandais, toi et moi, nous fabriquons tout de même des tableaux comme les crepons et restons là-dedans sans plus.