Lettre de Gauguin qui m’apprend qu’il t’a fait un envoi de tableaux & études.1
Serais bien content si tu pouvais trouver le temps de m’ecrire quelques détails sur ce que c’est.
Sa lettre etait accompagnee d’une lettre de Bernard pour dire qu’ils avaient reçu mon envoi de toiles qu’ils vont garder tous les 7. Bernard me fera encore une autre etude en echange2 et les trois autres, Moret, Laval et un jeune,3 enverront aussi des portraits j’espère.
Gauguin a mon portrait4 et Bernard dit qu’il aurait le désir d’en avoir un pareil quoiqu’il en aie déjà un de moi que dans le temps je lui ai échangé pour le portrait de sa Grand mère.5 Et cela m’a fait plaisir qu’ils ne détestaient pas ce que j’avais fait en figure.6
J’ai été et suis encore presqu’assommé par le travail de semaine passée.
Je ne peux encore rien faire mais d’ailleurs il fait un mistral de très grande violence qui soulève des nuages de poussière qui blanchit les arbres de haut en bas sur la Lice.–7 Je suis donc bien obligé de rester tranquille. Je viens de dormir 16 heures d’un trait ce qui m’a fait revenir à moi considérablement.
Et demain je serai remis de cette fourbissure.
Mais j’ai fait une bonne semaine allez, de 5 toiles,8 si cela se venge un peu sur celle ci, eh bien c’est naturel.
1v:3 Si j’avais travaillé plus tranquillement tu vois bien que le mistral m’aurait encore surpris.
Ah s’il fait beau ici il faut en profiter, sans cela jamais on ne ferait rien.
Dites donc que fait Seurat. Si tu le vois dis lui donc une fois de ma part que j’ai en train une décoration qui actuellement monte à 15 toiles de 30 carrées9 et qui pour former un tout en prendra au moins 15 autres et que dans ce travail plus large c’est souvent le souvenir de sa personalité et de la visite que nous avons fait à son atelier pour voir ses belles grandes toiles10 qui m’encourage dans cette besogne.
Je voudrais bien que nous eussions le portrait de Seurat par lui-meme.11
J’avais dit à Gauguin que si je l’avais engagé à faire un échange de portraits c’etait parceque je croyais que Bernard et lui certes auraient mutuellement fait deja plusieurs etudes l’un de l’autre. Que cela n’etant pas le cas et lui ayant fait le portrait pour moi exprès je n’en voulais pas en échange considerant la chose trop importante.12 Il écrit pour dire qu’absolument il veut que je la prenne en échange. Sa lettre est encore très complimenteuse, ce que ne méritant pas, passons outre. Je t’envoie article sur la Provence qui me paraissait bien écrit.13 Ces félibres sont une réunion litteraire et artistique, Clovis Hugues, Mistral, d’autres qui ecrivent en provencal et parfois en francais des sonnets assez bien, meme de fort bien parfois.14
Si les félibres cessent un jour d’ignorer mon existence ils passeront tous à la petite maison. Je préfère que cela n’arrive pas avant que j’aie terminé ma decoration. Mais aimant la Provence aussi franchement qu’eux j’ai peutêtre le droit à leur attention. Si jamais j’y insiste sur ce droit ce sera pour que mon travail reste ici ou à Marseille où comme tu sais j’aimerais bien à travailler, croyant que les artistes Marseillais feraient bien de continuer ce que leur Monticelli a commencé.
Si Gauguin et moi écrivons un article dans un des journaux d’ici cela suffira pour entrer en relation. Poignée de main.