1r:1
Mon cher Theo,
hier je t’ai envoyé une dépeche pour te demander encore vingt francs.1 je n’aurai que cela pour me nourrir toute la semaine mais enfin j’ai mes cadres et quelques chassis.2 Seulement pour la prochaine lettre, qu’elle ne vienne pas plus tard que Dimanche car le siège est dur, bien dur de ces jours ci. Mais nous le tiendrons et je me sens bien calme dans tous ces tremblements que nous traversons.
Juste au moment où je t’écris ces mots je reçois avis de l’arrivée de la toile de Tasset.3 Parfait.–
Les cadres en noyer font bien pour les études. Et je crois que le prochain envoi décidera quelque chôse et que nous brûlons de vendre.
Soyons prudent et comme nous sommes ne bougeons pas de l’idée que non pas seulement pour nous mais aussi pour faire réussir cet atelier il faut que nous regagnons l’argent dépensé durant les annees improductives. Avec du calme nous ferons tout cela, c’est d’ailleurs notre droit et nous avons assez souvent souffert pour cela.
 1v:2
Mais je te prie, cherche à te reconcilier avec les Bague.4 C’est à dire nous nous faisons trop vieux pour lutter contre les maisons existantes et la meilleure politique sera probablement de continuer tout doucement au jour le jour. Fonder une nouvelle maison cela coûte fort cher et se servir des existantes cela ne coûte rien du tout.
Alors si tu vois Bague explique lui que venant dans une nature toute nouvelle pour moi j’ai commencé à faire des études à droite à gauche dont je t’ai fait deux envois. Mais que si tableaux il y a là-dedans c’en sont tout au plus 2 ou trois.
ainsi le verger blanc, le grand verger rose et la moisson avec une ruine dans le fond.5
Actuellement cependant je suis en train de me concentrer. Maintenant les nouvelles choses, ah cela nous coûte cher et nous ne serons pas fort commodes pour les vendre, il faudra qu’ils y mettent ce que cela vaut. Espérons que nous ne soyons pas trop aux abois, avec de la patience cela ne nous sera pas trop difficile  1v:3 de faire comme Mauve ou Mesdag qui, pouvant attendre et tenir la chôse un peu plus cher, ont tout de même vendu.
Nous n’epargnons rien de ce que nous avons pour obtenir quelqu’effet riche de couleur. Et je crois que l’idee de gagner quelque chôse tout aussi bien pour les copains que pour nous, nous donnera de l’aplomb. Et dans les affaires, si nous n’avons pas de plan fixe, tout ce que nous ferons sera pourtant basé sur ce sentiment profond que nous avons de l’injustice existante dont souffrent les artistes que nous connaissons et dua désir de changer cela tant que nous pourrons. Avec cette idée-là nous pouvons travailler avec calme et volonté et n’avons en somme rien à craindre de personne. Je travaille à un portrait de la mère parceque la photographie noire m’impatientait trop.6
Ah comme on pourrait faire des portraits sur nature avec la photographie et la peinture. J’ai toujours espoir que dans le portrait il nous attend encore une belle revolution.
 1r:4
J’écris à la maison pour avoir le portrait de notre père aussi. Pour moi je ne veux pas des photographies noires et je désire tout de même avoir un portrait. Celui de la mère, une toile de 8, sera cendré sur fond vert et le vetement carmin. Je ne sais si cela sera ressemblant mais enfin je veux une impression de couleur blonde. Tu le verras un jour et si tu veux j’en ferai pour toi aussi.– Ce sera encore en pleine pâte.
Eh bien mon cher Theo pour ta lettre prochaine fais la moi avoir Dimanche.
Cela ira j’ose croire car nous brulons tout de meme de vendre et ce que je prépare maintenant nous mettra à même de montrer quelque chôse à l’epoque de l’exposition. Ce sera une année de dur travail mais nous aurons des bons moments après et même entre temps. Je fais de tête une etude de bordel pour Bernard.7 As tu vu que le dessin de moi, que j’ai ajouté aux dessins Bernard,8 represente la maison. Tu pourras te faire une idee de la couleur. J’ai une toile de 30 de ce dessin-là.9
Poignée de main et bien merci de la toile, nous allons ainsi encore pouvoir livrer bataille.

t. à t.
Vincent.

Je tiendrai cela ferme, lorsque cette decoration à laquelle je travaille soit finie il faut qu’elle vaille dix mille, que cela me soit commode ou pas, c’est mon but ferme et fixe, nous avons depensé de l’argent et il faut qu’il nous revienne.

top