je sais bien que je t’ai dejà écrit hier1 mais la journée a encore été si belle. Mon grand chagrin est que tu ne puisses pas voir ce que je vois ici. A partir de 7 heures du matin j’etais assis devant pourtant bien pas grand chôse – un buisson de cèdre ou de cyprès en boule – planté dans l’herbe. Tu le connais déjà ce buisson en boule puisque tu as déjà une étude du jardin.2 d’ailleurs ci inclus un croquis de ma toile – toujours un 30 carré.–3
Le buisson est vert un peu bronzé et varié, l’herbe est très très verte, du veronèse citronné, le ciel est très très bleu.
La rangée de buissons dans le fond sont tous des laurier roses fous furieux. Ces sacrés plantes fleurissent d’une façon que certes elles pourraient attrapper une ataxie locomotrice. Elles sont chargées de fleurs fraiches et puis de tas de fleurs fanées, leur verdure également se renouvelle par de vigoureux jets nouveaux, inépuisable en apparence.
Un funebre cyprès tout noir se dresse là-dessus et quelques figurines colorées se baladent sur un sentier rose.
Cela fait pendant à une autre toile de 30 du même endroit seulement d’un tout autre point de vue, où tout le jardin est coloré de verts très différents sous un ciel jaune citron pâle.41v:2 Mais n’est ce pas vrai que ce jardin a un drole de style qui fait qu’on peut fort bien se representer les poetes de la renaissance, le Dante, Pétrarque, Boccace, se baladant dans ces buissons sur l’herbe fleurie.5 Il est maintenant vrai que j’ai retranché des arbres mais ce que j’ai gardé dans la composition se trouve reellement tel quel. Seulement on l’a surchargé de certains buissons pas dans le caractère, d’ailleurs pour trouver ce caractere plusvrai et plus fondamental voilà la troisième fois que je peins le même endroit.
Or voilà pourtant le jardin qui est tout juste devant ma maison.
Mais ce coin de jardin est un bon exemple de ce que je te disais, que pour trouver le caractère réel des choses d’ici il faut les regarder et les peindre très longtemps.6
Car peutêtre verras tu rien que par le croquis que la ligne est simple maintenant.
Ce tableau ci encore est fort empâté comme son pendant à ciel jaune.
Demain j’espère travailler encore avec Milliet.7 Aujourd’hui encore à partir de 7h. du matin jusqu’à 6h. du soir j’ai travaillé sans bouger que pour manger un morceau à deux pas de distance. Voilà pourquoi le travail va vite.
Mais qu’en diras tu – qu’est ce qui m’en semblera à moimeme dans quelque temps d’ici.
J’ai une lucidité ou un aveuglement d’amoureux pour le travail actuellement.
Puisque cet entourage de couleur est pour moi tout nouveau et m’exalte extraordinairement. De fatigue pas question, je ferais encore un tableau cette nuit même et je l’amènerais.
Je n’y peux rien, je me sens en lucidité et je veux autant que possible m’assurer d’assez de tableaux pour garder ma position lorsque les autres aussi feront pour l’année 89 un grand effort. Seurat a de quoi, avec 2 ou 3 de ses énormes toiles,9 de quoi exposer à lui seul, Signac qui est bon travailleur a de quoi aussi, Gauguin aussi et Guillaumin.– Donc je voudrais bien moi avoir pour cette époque – que nous l’exposions ou non – la serie d’études:
Comme cela nous serons absolument originaux car les autres ne pourront pas nous trouver prétentieux lorsque nous n’avons que cela.
1r:4 Mais sois en bien assuré que je cherche à y mettre un style.
Milliet était aujourd’hui content de ce que j’avais fait le champ labouré,11 d’habitude il n’aime pas ce que je fais mais parceque les mottes de terre sont doux de couleur comme une paire de sabots cela ne le choquait pas – avec le ciel myosotys à flocons de nuages blancs. S’il posait mieux il me ferait bien plaisir et il aurait un portrait plus chic alors que maintenant je pourrai faire,a quoique la donnée soit belle de son visage à teint pâle et mat, le képi rouge contre un fond émeraude.
Ah comme je souhaiterais que tu voies tout ce que je vois de ces jours ci. Devant tant de belles chôses je ne peux que me laisser aller. Surtout parceque je sens que cela deviendra un peu mieux que le dernier envoi. Seulement le dernier envoi c’étaient des études qui m’ont préparé à pouvoir travailler d’aplomb de ces jours ci qui sont sans vent.
Pourquoi est ce que notre bon père Thomas ne veut pas me prêter quelque chôse sur mes études. il aurait tort de ne pas le faire – et j’espère qu’il le fera. Je crains de te surcharger toi et pourtant je voudrais commander bien pour deux cents francs de couleurs et de toiles et de brosses. C’est pas pour autre chôse, c’est pour cela. Tout l’automne peut être bon et si j’abats une
2r:5 toile de 30 tous les deux trois jours je gagnerai blusieurs pillets de mille vrans.12 J’ai de la force concentrée encore qui ne demande qu’à s’user dans le travail. Mais je commencerai fatalement par user un tas de couleurs et voilà pourquoi on aurait besoin de Thomas.–
Si je continue de travailler comme de ces jours ci j’aurai mon atelier tout plein d’études bien saines comme c’est chez Guillaumin.13 Certes Guillaumin aura de belles chôses nouvelles, je n’en doute pas et je voudrais bien les voir.
Les études actuelles sont réellement d’une seule coulée de pâte.La touche n’est pas divisée beaucoup et les tons sont souvents rompus. et enfin involontairement je suis obligé d’y empâter à la Monticelli.– Parfois je crois réellement continuer cet homme-là, seulement je n’ai pas encore fait de la figure amoureuse comme lui.
Et il est probable que je ne la ferai pas non plus avant quelques études sérieuses sur nature. Mais cela n’est pas pressé, maintenant je suis bien décidé à travaillér dur jusqu’à que j’aie surmonté.
Si je veux faire partir cette lettre je dois me presser.
As tu des nouvelles de Gauguin. j’attends à tout moment une lettre de Bernard qui suivra les croquis probablement.14
Certes Gauguin doit avoir une autre combinaison en tête, cela je le sens depuis des semaines et encore des semaines.
La solitude ne me genera provisoirement pas moi et plus tard on en trouvera de la compagnie tout de même et peut etre plus qu’on voudra. Je crois seulement qu’il ne faut rien dire de désagréable à Gauguin s’il changerait d’avis et prendre la chôse absolument du bon côté. Puisque s’il s’associe avec Laval ce n’est que comme de juste puisque Laval est son élève et ils ont déjà fait ménage ensemble.15
à la rigueur ils pourraient ma foi venir ici tous les deux qu’on trouverait moyens de les caser.
Pour l’ameublement, si j’eusse su d’avance: Gauguin ne vient pas, tout de même j’aurais voulu avoir deux lits pour le cas échéant d’avoir à caser quelqu’un. Donc il est certes bien libre. Il y en aura toujours qui auront le desir de voir le midi. Qu’a fait Vignon?? Enfin si tout marche pour le mieux tout le monde ne manquera pas de faire de grands progres et moi aussi. Si tu ne peux pas voir ces beaux jours d’ici, toujours en verras tu les tableaux. Et je cherche à donner mieux que les autres. Poignee de main et