Ci inclus lettre de Gauguin qui est arrivée simultanément avec une lettre de Bernard.1 Enfin c’est le cri de détresse.... ma dette augmente de jour en jour.
Je n’insiste pas sur ce qu’il a à faire.
Toi tu lui offres l’hospitalité ici et tu acceptes le seul moyen de payement qu’il a, ses tableaux.
Mais s’il exigerait qu’en outre et en dehors de cela tu lui payes son voyage il va un peu loin et au moins devrait il bien franchement t’offrir de ses tableaux et s’adresser à toi comme aussi à moi dans des termes moins vagues que “ma dette augmentant de jour en jour mon voyage devient de plus en plus improbable”.–
Il sentirait mieux la chôse s’il disait, j’aime mieux laisser tous mes tableaux entre vos mains puisque vous êtes bon pour moi et de faire des dettes chez vous qui m’aimez que de vivre avec mon logeur.2
Mais il a mal à l’estomac et lorsqu’on a mal à l’estomac on n’a pas la volonté libre.
Or moi je n’ai pas mal à l’estomac actuellement.
Et conséquemment je me sens la tête plus libre et j’espérerais plus lucide.
Je trouve absolument injuste que toi qui viens d’envoyer de l’argent que toi-même as dû emprunter pour l’ameublement de la maison,3 ayes encore à ta charge le voyage, alors surtout que ce voyage soit compliqué du payement de la dette.
A moins que Gauguin faisant bourse absolument commune te donne en plein son oeuvre. De telle façon que cessant de compter on fasse absolument cause commune. Si on faisait et bourse et cause commune je crois moi que tous y profiteraient au bout de quelques annees de travail en commun.
Car si l’association se fait dans ces conditions-là toi tu te sentiras je ne dis pas plus heureux mais plus artiste et plus productif qu’avec moi seul.
Pour lui comme pour moi nous sentirons bien clairement que nous devons réussir parceque notre honneur à tous les trois y est compromis et qu’on ne travaille pas pour soi seul. Le cas me parait être ainsi.
Et je me dis que même s’il faut dégringoler dans la fatalité des chôses il faudrait encore faire comme cela. Seulement j’écarte de plus en plus l’idée de cette degringolade lorsque je pense à la serenité que nous voyons sur les visages dans les Frans Hals et dans les Rembrandt tel que le portrait de Six vieux,4 tel que dans le sien,5 tel que dans ces Frans Hals que nous autres connaissons bien à Harlem des vieillards et des vieilles femmes.6
il vaut mieux avoir de la serenité que d’etre trop craintif.
Pourquoi donc jeter de hauts cris à l’occasion de cette affaire avec Gauguin. S’il vient avec nous autres il fera bien et nous voulons bien qu’il vienne.
Mais ni lui ni nous devons être écrasés.
Enfin dans sa lettre à lui il y a un beau calme tout de même.
quoiqu’il laisse inexpliquées ses intentions à notre égard.
Seulement si l’on veut bien faire cette chose il faut de la fidélité de sa part.
Je suis assez curieux de savoir ce que lui meme t’écrira, je lui réponds absolument comme je sens mais je ne veux pas dire des chôses melancoliques ou tristes ou mechantes à un si grand artiste.
Mais l’affaire au point de vue de l’argent prend des proportions graves, il y a le voyage, il y a la dette, il y a encore que l’ameublement n’est pas complet.
Seulement il est déjà complet assez pour que si Gauguin tombe ici inopinément il y aurait moyen de s’arranger en attendant qu’on reprenne haleine.
Gauguin est marié et ceci il faut bien le sentir d’avance qu’à la longue il n’est pas sûr que les interets divers seront compatibles.
Or c’est pourquoi il faudrait justement pour ne pas se quereller plus tard en cas d’association quelconque avoir les conditions bien nettement arrêtées.
Si tout va bien pour Gauguin tu vois d’ici qu’il se remettra avec sa femme et ses enfants.7 Certes je le désirerais pour lui. Eh bien il faut donc avoir sur la valeur de ses tableaux plus de confiance que son logeur mais il ne faut pas qu’il te les compte tellement cher à toi qu’au lieu de pouvoir avoir toi quelque avantage à l’association, tu n’en aurais que les charges et les frais.
Cela ne doit pas être et d’ailleurs ne sera pas. Mais tu dois avoir de lui ce qu’il a de mieux.
Je dois te prévenir que je compte garder ici à l’atelier plusieurs études au lieu de te les envoyer. Je crois que si je continue bien fermement ce projet de faire de la maison ici une chôse un peu réellement artistique tu auras plus tard une serie d’etudes qui se tiendra.
à propos Russell a répondu – negativement pour ce qui regarde d’acheter un Gauguin8 mais il m’invite à venir passer un temps chez lui, ce qui commencerait et finirait par couter de l’argent pour le voyage. Je ne dis pas pourtant qu’il n’achetera pas un Gauguin car il sentira bien lui-même qu’il est peu bienfaisant actuellement. Mais enfin en se construisant une maison,9 pourvu qu’il y loge les gens, il fait bien la chôse qui est necessaire à partir du moment où les logeurs nous fouteraient à la porte.