1*Tu auras reçu ma dépêche 2te faisant savoir que le sous lieutenant 3Milliet arrivera à Paris Vendredi matin/ 4il arrive à la gare de Lyon à 5.15 du matin 5et va de là directement au Cercle militaire 6Avenue de l’opéra.1 Ce sera de part & 7autre le plus simple que tu ailles le voir 8là à 7 heures du matin précises_2
9Naturellement tu pourrais aussi le rencontrer 10à la gare de Lyon même mais c’est 11d’abord plus loin/ ensuite il faudrait 12te lever bien de bonne heure.
13Il a été très-aimable pour moi justea 14ces derniers jours ci_ Il reviendra à Paris 15pour une semaine mais passe la 16plus grande partie de ses vaccances dans 17le Nord.
18Je suis bien content de voir l’expédition 19faite et la soeur verra ainsi mes 20études ce qui ne m’est pas indifférent 21parceque ainsi elle assistera à une 22chôse enfin essentiellement de notre 23vie française à nous/ crue 24et telle quelle_
25Je veux dire/ elle verra la peinture 26à l’état brut_
27Mais fais moi le grand plaisir de 28lui montrer une ou deux études 29remises sur chassis et encadrées de blanc_ 30Tu pourras ôter de leurs chassis & cadres 31des précédentes_
32Car pour que cela ne prenne pas trop 33de place ne t’embarasse pas de chassis 34et cadres pour moi_ Car les copains verront 35bien ce que c’est tel quel et surtout toi 36aussi_ Plus tard – la Centaine 37accomplie nous choisirons une 38dizaine ou quinzaine dans le nombre pour les encadrer.
39Maintenant j’ai gardé le grand 40portrait du facteur3 et sa tete 41ci jointe est – une seule séance_–4 42Eh bien/ voilà mon fort/ faire un 43bonhomme rudement dans une 44séance. Si je me montais, mon 45cher frère, davantage le cou 46je ferais toujours ainsi/ je boirais 47avec le premier venu et je le 48peindrais – et cela non à la
1v:3 49peinture à l’eau mais à l’huile/ 50seance tenante à la Daumier_ 50aSi j’en faisais cent comme ça il y en aurait des bons dans le nombre. 51Et je serais plus francais et plus 52moi – et plus buveur_ 53Cela me tente tant – non pas 54la boisson mais la peinture de voyou_ 55Ce qu’ainsi faisant je gagnerais en 56tant que quant à l’artiste/ le 57perdrais-je en homme?– Si 58j’avais la foi de ça je serais 59'un fameux toqué – maintenant je n’en suis pas un de fameux – mais tu 60vois je n’ai pas l’ambition de 61cette gloire-là suffisamment pour 62mettre le feu aux poudres_
63J’aime mieux attendre la génération 64à venir qui fera en portrait ce que 65Claude Monet fait en paysage/ 66le paysage riche et crâne à la 67Guy de Maupassant_
68Alors je sais que moi je ne suis pas 69de ces gens-là/ mais les Flaubert et les Balzac 70n’ont ils pas fait les Zola et les 71Maupassant_5 Vive donc non pas 72nous mais la génération à venir_
73Tu es juge assez en peinture pour voir et apprécier 74ce que je puisse avoir d’originalité et tu l’es 75également assez pour voir l’inutilité de 76présenter ce que je fais au public de maintenant 77car les autres me surpassent en touche plus 78nette. Cela tient plus au vent et circonstances 79qu’à ce que je pourrais sans le mistral et 80sans ces circonstances fatales de jeunesse 81évaporée/ de pauvreté relative_ 82De mon côté je n’insiste aucunément à changer 83de condition et je me compte même trop heureux 84de pouvoir continuer tel quel.
85Pas de réponse de l’ami Russell et certes 86Gauguin en méritait bien une.6
87J’ai ajouté à cet envoi un dessin du tableau que 88je travaille maintenant/ les bateau avec déchargeur 89de sable.7 Si certaines études n’étaient pas tout 90à fait sèches ce serait tant pis pour elles/ il 91faudrait les laisser sècher complètement puis 92laver à grande eau et retoucher en cas de 93besoin_8 Mais le mal ne peut pas être grave 94et l’occasion était bonne pour les expédier_
95Je te serre bien la main et j’espère bien 96avoir de tes nouvelles vendredi ou samedi_