peut être seras tu enclin à m’excuser de n’avoir pas incontinent repondu à ta lettre, voyant qu’à celle ci je joins un petit envoi de croquis.1
Dans le croquis le jardin il y a peutêtre quelque chose comme “des tapis velus de fleurs et de verdure tissus”2 de Crevelli ou Virelli,3 peu importe.– Enfin – en tout cas à tes citations j’ai voulu répondre avec la plume mais pas en écrivant des paroles. Aujourd’hui aussi j’ai peu la tête à la discussion, je suis dans le travail jusqu’à par-dessus les oreilles.
Ai fait de grands dessins à la plume – 2 – une immense campagne plate – vue à vol d’oiseau d’en haut d’une colline – des vignes, des champs de blé moissonnés, tout cela multiplié à l’infini, détalant comme la surface d’une mer vers l’horizon borné par les monticules de la Crau.4
Ca n’apas l’air japonais et c’est la chôse la plus japonaise reellement que j’aie faite.
un personnage microscopique de laboureur, un petit train qui passe dans les blés, voila toute la vie qu’il y a là-dedans. Ecoutez j’ai passé – les premiers jours de mon arrivee – à cet endroit-là avec un ami peintre.–5
Voila ce qui serait embêtant à faire, dit-il. moi je ne dis rien mais je trouvais cela tellement épatant que je n’avais pas même la force d’engueuler cet idiot. J’y reviens, reviens, reviens encore – bon, j’ai fait deux dessins de ca – de ce paysage plat où il n’y avait rien que.......... l’infini... l’étérnité..
Bon – survient pendant que je dessine un coco qui n’est pas peintre mais soldat.6 j’y dis “est ce que ca t’epate que moi je trouve cela aussi beau que la mer”? Or il connaissait la mer – lui. “Non – cela ne m’épate pas – dit-il – que tu trouves cela aussi beau que la mer – mais moi je trouve cela
1v:3 même plus beau que l’ocean puisque c’est habité”. Qui etait le plus artiste des spectateurs, le premier ou le deuxieme, le peintre ou le soldat – moi je prefère l’oeil de ce soldat. n’est ce pas vrai.–
Maintenant c’est à moi de te dire, réponds moi vite cette fois ci par retour du courrier – pour me répondre si tu consens à me faire des croquis de tes etudes Bretonnes. J’ai un envoi qui vapartir7 et avant que cela décampe je veux encore te faire au moins une nouvelle demi douzaine de motifs en croquis à la plume. Doutant peu de ce que tu le fera pour les tiens, je me mets d’ailleurs au travail de mon côté sans savoir même si tu veux faire cela. Maintenant ces croquis je les enverrai à mon frère pour l’engager à en prendre quelque chose pour notre collection.
Je lui ai deja ecrit à ce sujet d’ailleurs. Mais nous avons une affaire en train qui nous laisse sans le sou absolument.
C’est que Gauguin – qui a été bien malade – ira probablement passer l’hiver prochain avec moi ici dans le midi. Et il y a le voyage qui nous embête. Une fois ici, ma foi, à deux on dépense moins que seul. Raison de plus pour que je desirerais avoir des choses de toi ici. Gauguin une fois ici, à nous deux nous chercherons à faire quelquechose à Marseille et y exposerons probablement. Or je désirerais avoir des chôses de toi aussi, toutefois sans te faire perdre des chances de vente à Paris. En tous cas je ne crois pas t’en faire perdre en t’engageant à faire un échange de croquis d’études peintes de part et autre. Et aussitot que je pourrai nous ferons encore une autre affaire mais suis assez gêné maintenant. Ce dont je suis persuadé c’est que si nous exposons à Marseille tot ou tard Gauguin comme moi t’engagerons à y participer.
Thomas a fini par acheter l’etude d’Anquetin – le paysan.–8