1r:1
Mon cher Theo,
Bien merci de ta lettre et du billet de 50 frs. qu’elle contenait. j’ignorais que l’article sur Claude Monet fût de la même main que celui sur Bismarck.1 Cela fait du bien d’en lire de pareils, davantage que la pluspart des articles des décadents avec leur affection de dire les choses les plus banales en termes bizarrement contournés.2
je suis bien mécontent de ce que j’ai fait de ces jours ci car c’est très laid. Et pourtant la figure m’intéresse bien davantage que le paysage.
Tout de même je t’enverrai un dessin du Zouave aujourd’hui.3
faire des études de figures pour chercher et pour apprendre ce serait encore après tout pour moi le plus court chemin de faire quelque chose qui vaille.
Bernard en est à la meme question. il m’envoie aujourd’hui un croquis de bordel4 que je t’envoie ci-inclus pour l’accrocher à côté des saltimbanques que tu as de lui.5
Derriere le dessin il y a une poésie qui est bien dans le même ton que le dessin,6 il est probable qu’il en a une etude peinte plus faite.7
 1v:2
Je ne serais pas étonné s’il voulait me faire un échange avec la tête de zouave quoique celle là soit très laide.8 Mais comme je n’aimerais pas à le priver d’études vendables je ne proposerais pas un échange à moins qu’on puisse lui acheter pour une petite somme en même temps.–
Il pleut encore beaucoup ici ce qui fait grand tort au blé qui est encore sur pied.
Mais heureusement j’avais un modèle de ces jours ci.
J’aurais besoin d’un livre, A B C D du dessin par A. Cassagne.9 je l’ai demandé à la librairie ici et après avoir attendu 14 jours on me répond qu’il leur faut le nom de l’éditeur que j’ignore. Si tu pouvais me l’envoyer cela me ferait bien plaisir. La negligence, le laisser aller paresseux des gens ici est sans nom et on est bien gêné pour les moindres des chôses. C’est là la raison pourquoi il faudra aller à Marseille un de ces jours pour pouvoir faire venir de là-bas ce dont j’ai besoin.
Le port de Parisa n’est pas toujours agreable et rencherit les choses mais voila, pour aller expres à Marseille cela renchérit encore plus. Cela me chagrine bien souvent que la peinture soit comme une mauvaise maitresse qu’on aurait qui depense, depense toujours et c’est jamais assez,  1v:3 et de me direb que si par hasard de temps en temps il y a une etude passable il serait beaucoup meilleur marché de les acheter aux autres.
Le reste, l’espoir de mieux faire, est aussi un peu une fata morgana.
Enfin il n’y a pas grand remède à tout cela à moins qu’un jour ou un autre on puisse s’associer avec un bon travailleur et à deux produire davantage.
Pour ce qui est de l’éditeur du livre de Cassagne – tu dois avoir son traité de perspective et l’adresse doit y être.
d’ailleurs on tient ces livres chez Latouche et Rue Chaussée d’Antin chez celui qui a toujours les Allongé.–10
C’est bien beau que Claude Monet a trouvé moyen de faire de fevrier à Mai ces dix tableaux.
Travailler vite ce n’est pas travailler moins serieux, cela dépend de l’aplomb qu’on a et de l’experience.
Ainsi Jules Guérard le chasseur de lions raconte dans son livre que les jeunes lions ont dans le commencement beaucoup de mal à tuer un cheval ou un boeuf mais que les vieux lions tuent d’un seul coup de griffe ou de dent bien calculé et ont une sureté etonnante pour cette besogne.11
 1r:4
Je ne retrouve pas ici la gaieté meridionale dont Daudet parle tant,12 au contraire une mignardise fade, une nonchallance sordide mais n’empêche que le pays est beau.
Pourtant la nature ici doit etre très differente de Bordiguera, Hyères, Genes, Antibes, où il y a moins de mistral, où les montagnes donnent un tout autre caractère.13
Ici – sauf une couleur plus intense cela rappelle la Hollande, tout est plat – et seulement on pense surtout à la Hollande de Ruysdael et de Hobbema et d’Ostade plutot qu’à la Hollande actuelle.
Ce qui m’etonne c’est la rareté des fleurs, ainsi pas de bluets dans les blés, rarement des coquelicots.
Combien a couté la caisse de tableaux de port dernierement. les empatements de certaines toiles sont sèches superficiellement mais pas assez pour rouler, sans cela j’enverrais.
Mac Knight a maintenant un ami avec lui,14 de son travail je ne vois jamais rien, j’ai montré hier à lui et son ami quatre ou cinq nouvelles études qu’ils ont regardé avec un silence glacé. Je pense qu’ils preparent une surprise de leur côté de laquelle j’espère qu’elle sera bonne. car cela me ferait grand plaisir de voir qu’ils aient trouvé une voie. Poignée de main à toi et à Mouries si toutefois il n’est pas encore installé dans l’atelier à la Gerome.15

t. à t.
Vincent

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