1*je te remercie beaucoup 2de ta lettre sur laquelle je n’avais 3même pas osé compter si vite pour ce 4qui est du billet de 50 fr. que tu y as ajouté_
5Je vois que tu n’as encore guère de réponse 6de Tersteeg – je ne vois pas la nécessité d’insister 7de notre côté par une nouvelle lettre – 8toutefois si tu aurais quelque affaire 9officielle à traiter avec la maison B.V_&C° 10La Haye tu pourrais dans un P.S. 11faire sentir que tu sois plus ou moins étonné 12de ce qu’il ne t’aie point 13fait savoir qu’il a recue la lettre en 14question.– Pour ce qui est du travail 15j’ai rapporté une toile de 15 aujourd’hui/ 16c’est un pont levis, sur lequel passe 17une petite voiture, qui se profile sur 18un ciel bleu – la riviere bleue 19également/ des berges orangées 20avec verdure/ un groupe de laveuses 21aux caracos & bonnets barriolés_1 22Puis autre paysage avec un petit 23pont rustique & laveuses également_2 24Enfin une allée de platanes près 25de la gare.3 En tout depuis que je 26suis ici 12 études_4
27Le temps est variable/ souvent du 28vent & des ciels brouillés – mais les 29'amandiers commencent à fleurir 30généralement. En somme je suis 31bien content que les tableaux soient 32aux Indépendants_5
33Tu feras bien d’aller voir Signac chez lui_6 34j’étais bien content de ce que tu écrivais 35dans ta lettre d’aujourd’hui/ qu’il a fait sur 36toi une impression plus favorable que la première 37fois. Dans tous les cas cela me fait plaisir 38de savoir qu’à partir d’aujourd’hui tu ne seras 39pas seul dans l’appartement_ Dis bien le 40bonjour à Koning de ma part_– Est ce que 41ta santé est bien, pour ce qui est de la 42mienne cela va mieux/ seulement 43c’est une vraie corvée de manger vu que 44j’ai de la fièvre et pas d’appetit mais cela n’est donc 45que passager et affaire de patience.
46J’ai de la compagnie le soir puisque le jeune 47peintre Danois qui est ici est très bien; son 48travail est sec/ correct et timide mais 49je ne déteste pas cela lorsque l’individu est 50jeune et intelligent. Il a dans le temps 51commencé des études de médecine/ il connait 52les livres de Zola/ de Goncourt/ Guy de Maupassant/ 53et il a assez d’argent pour se la couler douce.7 54Avec cela un désir très sérieux de faire autre 55chôse que ce qu’il fait actuellement. Je crois 56qu’il ferait bien de différer son retour dans 57son pays d’un an/ ou de revenir après une 58courte visite à ses concitoyens.
59Mais, mon cher frère – tu sais 60je me sens au Japon.– Je ne te 61dis que cela/ et encore/ je n’ai encore 62rien vu dans la splendeur accoutumée_1v:3 63C’est pourquoi (tout en etant chagriné 64de ce que actuellement les dépenses sont 65raides et les tableaux des non valeurs)/ 66c’est pourquoi je ne déséspère pas 67d’une réussite de cette entreprise 68de faire un long voyage dans le midi_ 69Ici je vois du neuf/ j’apprends et 70étant traité avec un peu de douceur mon corps 71ne me refuse pas ses services_ 72Je souhaiterais pour bien des raisons 73pouvoir fonder un pied à terre qui 74en cas d’ereintement pourrait 75servir à mettre au vert les pauvres 76chevaux de fiacre de Paris qui sont 77toi-meme et plusieurs de nos amis/ 78les impressionistes pauvres_
79J’ai assisté à l’enquête d’un crime commis 80à la porte d’un bordel ici; deux italiens 81ont tué deux zouaves.–8 J’ai profité 82de l’occasion pour entrer dans un 83des bordels de la petite rue dite “des 84ricollettes”_–9 Ce à quoi se bornent mes 85exploits amoureux vis à vis des Arlésiennes. 86La foule à manquée (le méridional selon 87l’exemple de Tartarin10 étant davantage d’aplomb 88pour la bonne volonté que pour l’action)/ 89la foule dis je/ a manquée lyncher les 90meurtriers emprisonnés à l’hôtel de ville 91mais sa représaille a été que 92tous les Italiens et toutes les 93Italiennes/ y compris les marmots 94Savoyards/ ont dû quitter la ville 95de force.–11
96Je ne te parlerais pas de cela si ce n’était pour 97te dire que j’ai vu les boulevards de cette 98ville plein de monde réveillé_– Et 99vraiment c’était bien beau_
100J’ai fait mes trois dernières études au 101moyen du cadre perspectif que tu me 102connais.12 J’attache de l’importance à 103l’emploi du cadre puisqu’il ne me semble 104pas improbable que dans un avenir peu 105éloigné plusieurs artistes s’en serviront 106de même que les anciens peintres 107allemands et italiens sûrement et/ 108je suis porté à le croire/ pas moins les 109flamands s’en sont servis.
110L’emploi moderne de cet instrument 111peut différer de l’emploi qu’anciennement 112on en a fait – mais – n’est ce pas de 113même qu’avec le procédé de la peinture 114à l’huile on obtient aujourd’hui des effets 115très différents de ceux des inventeurs du 116procédé/ J. et Hubert. v_ Eyck_–13 C’est 117pour dire que j’espère toujours ne 118pas travailler pour moi seul_ Je crois 119à la nécessité absolue d’un nouvel art 120de la couleur/ du dessin et – de 121la vie artistique. Et si nous travaillons 122dans cette foi-là/ il me semble qu’il y ait 123des chances pour que notre espérance 124ne soit pas vaine. Tu sauras toujours 125qu’à la rigueur je suis en état de te faire 126parvenir des études/ seulement pour les 127rouler c’est encore impossible. Je te 128serre bien la main. J’écris dimanche 129à Bernard et à de Lautrec puisque j’ai 130formellement promis. je t’enverrai d’ailleurs 131les lettres.14 Je regrette bien le cas de Gauguin/ 132surtout parceque sa santé étant ébranlée/ il 133n’a plus un temperament auquel les épreuves 134ne puissent faire que du bien, au contraire 135cela ne fera désormais que l’éreinter et cela doit 136le gêner pour travailler. A bientôt_