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Mon cher Vincent
En rentrant d’un petit voyage j’ai trouvé, et votre lettre1 et votre épreuve eau forte.–2 Nous avions été, de Haan et moi, passer 5 jours à Pont-Aven, mon ancienne résidence qui est à 6 lieues du Pouldu.–
Votre lettre ne me dit pas grand chose – Si vous avez vu mes études à Paris chez Goupil, ce que vous en pensez! Si mon voyage projeté pour Madagascar vous parait déraisonnable. J’en rêve tous les jours au point que je ne travaille presque pas en ce moment, voulant me reposer un peu, prendre des forces nouvelles po[u]r là-bas.–
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Et vous, vous êtes insatiable; je vois que vous n’avez pas perdu de temps à Auvers.– Il est bon cependant de se reposer quelquefois l’esprit et le corps.
Votre idée de venir en Bretagne au Pouldu me paraît excellente si elle était réalisable.– Car nous sommes, de Haan et moi, dans un petit trou éloigné de la ville. Sans d’autre communication qu’une voiture de louage. Et pour un malade qui a besoin de médecin quelquefois c’est scabreux. À Pont Aven c’est autre chose, il y a médecin et du monde.– En outre si je parviens à faire mon affaire pour aller à Madagascar je ne serai plus ici  1v:3 au commencement de Septembre, ainsi que de Haan qui va repartir en Hollande. Voilà en toute franchise la situation. Et cependant Dieu sait avec quel plaisir je verrais l’ami Vincent près de nous.
Je ne connais pas le docteur Gachet mais j’ai entendu parler de lui souvent par le père Pissarro. Et ce doit être pour vous agréable d’avoir près de vous quelqu’un qui sympatise avec votre travail, vos idées.–
Hélas, moi je me vois condamné à être de moins en moins compris, et je dois m’en tenir à suivre  1v:4 ma voie seul, traîner une existence sans famille comme un paria.– Aussi la solitude dans les bois me paraît dans l’avenir être un paradis nouveau et presque rêvé.– Le sauvage retournera au sauvage.
Enfin! destinée écrite ne peut se renverser.–
Amitiés de l’ami de Haan.
Cordialement

T. A V.
Paul Gauguin

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