1r:1
Mon cher Vincent –
Votre lettre m’avait fait croire que vous étiez reparti dans le Nord, c’est à dire en Hollande, et je n’ai pas répondu, attendant votre adresse.–1
J’ai vu la toile de madame Ginoux.– Très belle et très-curieuse, je l’aime mieux que mon dessin.–2
Malgré votre état maladif vous n’avez jamais travaillé avec autant d’équilibre tout en conservant la sensation et la chaleur interieure nécessaires à une oeuvre d’art, à une époque justement où l’art est une affaire reglée d’avance par de froids calculs.–
Vous souvenez-vous de nos conversations d’autrefois à Arles où il était question de fonder l’atelier des Tropiques.–  1r:2 Je suis sur le point d’executer ce plan, si j’obtiens une petite somme nécessaire à fonder l’établissement.– J’irai alors à Madagascar avec une peuplade douce sans argent qui vit du sol. De divers côtés j’ai des renseignements très précis. D’une petite hutte en terre et bois j’en ferai une maison confortable avec mes dix doigts; j’y planterai moi-même toutes choses pour nourriture, poules, vaches etc.... et en peu de temps j’aurai là la vie materielle assurée.– Ceux qui plus tard voudront y venir trouveront là tous les matériaux pour travailler à très-peu de frais.–3 Et l’atelier des Tropiques formera peut être le Saint-Jean Baptiste de la peinture de l’avenir,4  1v:3 retrempé là par une vie plus naturelle, plus primitive et surtout moins pourrie.–
Je donnerais bien en ce moment toutes mes toiles à 100f pièce pour arriver à réaliser mon rêve.–
Je suis sûr d’avoir à Madagascar le Calme nécessaire au bon travail.–
Pour le moment je vais en Bretagne passer deux mois avec de Haanm.–a
Toujours la même adresse au Pouldu, près Quimperlé (Finistère).
Esperons que vous allez arriver complètement à vous rétablir à Auvers.–
 1v:4
Cordialement

T. A V.
P. Gauguin

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