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Mon cher Theo et chère Jo
Après avoir fait connaissance avec Jo il me sera désormais difficile d’écrire à Theo seul mais Jo me permettra j’espère d’ecrire en français parceque après deux ans dans le midi reellement je crois, ainsi faisant, mieux vous dire ce que j’ai à dire.– Auvers est bien beau – beaucoup de vieux chaume entre autres, ce qui devient rare.
J’espérerais donc qu’en faisant quelques toiles de cela bien serieusement il y aurait une chance de rentrer dans les frais du séjour – car reellement c’est gravement beau, c’est de la pleine campagne caracteristique et pittoresque.
J’ai vu M. le Dr Gachet qui a fait sur moi l’impression d’être assez excentrique mais son expérience de docteur doit le tenir lui-même en équilibre en combattant le mal nerveux duquel certes il me parait attaqué au moins aussi gravement que moi.
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Il m’a piloté dans une auberge où l’on demandait 6 francs par jour.
De mon côté j’en ai trouvé une où je payerai 3.50 par jour.1
Et jusqu’a nouvel ordre je crois devoir y rester. Lorsque j’aurai fait quelques études je verrai si il y aurait avantage à changer. mais cela me parait injuste lorsqu’on veut et peut payer et travailler comme un autre ouvrier, d’avoir à payer quand même le double presque parceque l’on travaille à de la peinture. Enfin je commence par l’auberge à 3.50.
Probablement tu verras le Dr Gachet cette semaine – il a un très beau Pissaro, hiver avec maison rouge dans la neige.2 et deux beaux bouquets de Cezanne.3
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Aussi un autre Cezanne du village.4 Moi à mon tour je veux volontiers, très volontiers donner ici un coup de brosse.
J’ai dit à M. le Dr Gachet que pour 4 francs par jour je trouverais l’auberge indiquée par lui preferable mais que 6 était 2 francs trop cher pour les dépenses que je fais. Il a beau dire que j’y serai plus tranquille, assez c’est assez.
Sa maison à lui est pleine de vieilleries noires noires noires, à l’exeption des quelques esquisses d’impressionistes nommées.5 Malgré que c’est un drôle de bonhomme l’impression qu’il a faite sur moi n’est pas defavorable. Causant de la Belgique6 et des jours des anciens peintres, sa figure raidie par le chagrin redevient souriante et je crois bien  1r:4 que je resterai amis avec lui et que je ferai son portrait. Puis il me dit qu’il faut beaucoup travailler hardiment et ne pas du tout songer à ce que j’ai eu.
J’ai bien senti à Paris que tout le bruit de là-bas n’est pas ce qu’il me faut.
Que je suis content d’avoir vu Jo et le petit et ton apartement qui certes est mieux que l’autre.7
Vous souhaitant bonne chance et santé et espérant vous revoir sous bien peu, bonnes poignées de main

Vincent.

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