1r:1
1Mon cher frère,
1*Merci beaucoup de ta
2lettre chargée, contenant fr_ 150, qui est
3arrivée ce matin. Egalement j’ai reçu
4toiles & couleurs de Tasset & l’Hôte
5(celles de Tanguy etaient elles dans le meme envoi?)1
6et je ne saurais trop t’en être reconnaissant
7car si je n’avais eu mon travail/ depuis
8longtemps je serais enfoncé encore bien
9davantage. A présent le mieux continue/
10toute l’horrible crise a disparue comme une
11orage et je travaille pour donner un dernier
12coup de brosse ici avec une ardeur calme
13& continue. J’ai en train une toile
14de roses sur fond vert clair2 et deux toiles
15representant de grands bouquets de
16fleurs d’Iris violets/ les unes contre un
17fond rose où l’effet est harmonieux et
18doux par la combinaison des verts/ roses/
19violets_3 Au contraire l’autre bouquet
20violet (allant jusqu’au carmin et au
21bleu de prusse purs) se détachant sur
22un fond jaune citron eclatant avec d’autres tons jaunes
23dans le vase & le socle sur lequel il repose/
24est un effet des complementaires disparates
25terribles qui s’exaltent par leur opposition_4
 1v:2
26Ces toiles prendront bien un mois à sécher
27mais l’employé5 d’ici se chargera de
28les expédier après mon départ_
29Je compte partir cette semaine le plus
30tôt possible et je commence aujourd’hui
31à faire ma malle.
32Je t’enverrai de Tarascon une dépêche_
33Oui, à moi aussi il me semble qu’il
34y a une époque très longue entre
35le jour où nous avons pris
36congé à la gare & ces jours ci_ Mais –
37etrange de nouveau que/ de même que
38ce jour-là nous étions si frappés des toiles
39de Seurat/6 ces derniers jours ici me sont
40de nouveau comme une révélation de
41couleur. Pour mon travail, mon cher frère,
42je me sens plus d’aplomb qu’en partant
43et il serait ingrat de ma part de médire
44du midi, et j’avoue que c’est avec un
45gros chagrin que je m’en retourne_
46Si ton travail t’empêchait de venir me prendre
47à la gare ou si c’etait à une heure difficile
48ou qu’il ferait trop mauvais temps/ ne t’en
49inquiètes pas/ je trouverais bien mon chemin
50et je me sens si calme que cela m’étonnerait
51beaucoup si je perdais mon aplomb.
 1v:3
52Comme je désire te revoir et faire la
53connaissance de Jo et du bébé_
54Il est probable que j’arrive à Paris
55le matin vers 5 heures. mais enfin
56la dépêche te le dira au juste.
57Le jour de mon départ dépend de ce que
58j’aie fait ma malle et que j’aie fini mes
59toiles/ à ces dernieres je travaille avec tant
60d’entrain que faire la malle me parait
61plus difficile que de faire les tableaux.
62Enfin ce ne sera pas long. je suis bien
63aise que cela n’aie pas traîné/ ce qui est
64toujours lamentable lorsqu’on prend une
65resolution. Je m’en fais une fete de
66voir encore l’exposition des crepons
67Japonais7 et aussi je ne dedaigne pas
68du tout de voir le salon où il me semble
69qu’il y aura pourtant des choses interessantes/
70quoique ayant lu le compte rendu du Figaro/8
71certes cela me laisse plus ou moins froid.
72Bien le bonjour à Jo et bonne poignée
73de main en pensée_

73*t. à t.
74Vincent.


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