1r:1
Paris le 3 Mai 1890

Mon cher Vincent,
Je ne puis pas te dire combien j’étais content de ta lettre ou plustôt de tes deux lettres;1 je disais la veille de ma fête2 à Jo, s’il venait une lettre de Vincent je ne saurais plus ce que je pourais désirer qui manque à mon bonheur. Et voilà que ta lettre arrive. Bien entendu je voudrais que tu te sentais encore mieux & surtout que tes tristesses puissent  1v:2 se dissiper. Ton envoi de toiles est arrivé aussi & il y en a qui sont bien bien belles. Le surveillant3 & l’autre bonhomme avec sa face boursouflée4 sont extraordinaires, la branches des amandiers en fleurs5 montre que dans ces sujets tu n’es pas épuisé. Si cette année tu as manquée la saison des arbres en fleurs, une prochaine fois espérons que cela ne sera pas. Les copies de Millet6 sont peut être ce que tu as fait de plus beau et me fait croire que le jour où tu te mettras à faire des compositions de figures il nous attend encore de grandes surprises. L’envoi de couleurs Tasset  1v:3 & Tangui est parti, je n’avais pas encore reçu ta seconde lettre & je me disais que tu pourrais bien utiliser la moitié de plus.7 La toile d’Aurier8 est une des plus belles que tu aies encore faite, elle a la richesse d’une queu de paon. Toute à l’heure je vais la lui porter, j’avais fait faire le cadre que tu avais décrit9 car je lui dois bien cela et il n’est pas riche. Et maintenant ce qu’il y a de plus important dans ta seconde lettre, c’est tes projets de venir par içi. Je suis très heureux que tu te sens la force pour entreprendre un changement & j’approuve absolument qu’aussitôt possible tu viennes, mais tu dis que moi je dois fixer l’époque quand tu dois venir. Je n’ose pas prendre une décision & il n’y a que toi avec les conseils du Dr Peyron qui  1r:4 puisses prendre sur toi cette responsabilité. Ton voyage à Arles t’était absolument funeste,10 est ce que cette fois çi le déplacement ne te fera pas de mal? Si j’étais toi j’agirais entièrement avec la manière de voir de Mr Peyron & en tous les cas le jour que tu es décidé à venir içi il faut absolument te faire accompagner durant tout le trajet par quelcun en qui tu as confiance. La fatigue du voyage et la sensation de retrouver des endroits connus peuvent influencer sur ta maladie. Si possible j’aimerais tant t’avoir avec nous au moins pendant quelque temps & si tu fais tout pour te ménager il est très probable que tout marchera bien. Tu dis que les gens là-bas ne comprennent rien à la peinture, mais içi c’est absolument la même chose & il ne faut pas croire que n’importe où tu trouvera cela autrement que par exception. Nous avons fréquenté une cathégorie de gens, qui en ont fait leur principale occupation, mais à part ceux-là c’est de l’hébreux pour le monde & les choses simples sont encore moins compris que là où on peut se creuser la tête sur le sujet etc. J’espère que tu pourras m’écrire que tu vas de mieux en mieux et que tes projets pourront se réaliser prochainement. Ne te fais cependant pas trop d’illusions sur la vie dans le nord, en somme chaque pays a son pour & contre. Je t’écrirai prochainement & je chercherai des lith: des maitres. Je les enverrai en même temps que les dessins de Brabant.11 Bon courage & bonne poignée de mains. Merci encore de tes lettres & de ton envoi. Si tu as besoin de quelque chose dis-le. Les affaires marchent bien & j’ai tout ce qu’il faut. Bien bonjour de Jo & du petit. Çi inclus leur portrait.12

À toi
Theo

top