1r:1
Mon cher ami Russell
Je vous envoie aujourd’hui un petit rouleau de photographies d’après Millet1 que peutêtre vous ne connaissiez pas.
Quoi qu’il en soit c’est pour nous rappeler, mon frère et moi, à votre bon souvenir.– Savez vous que mon frère s’est marié depuis et que juste de ces jours ci il attend son premier né. Puisse cela aller bien – il a une bien brave femme hollandaise.
Que cela me fait plaisir de vous ecrire après un long silence.2  1v:2 Vous souvenez vous du temps que, simultanement presque, vous je crois le premier et moi après, rencontrâmes l’ami Gauguin. Il lutte toujours – et seul ou presque seul en brave qu’il est. Suis sûr que vous ne l’oubliez pas pourtant.
Nous sommes lui et moi encore toujours amis, je vous l’assure, mais peutetre vous n’ignorez pas que moi je suis malade et ai eu plus d’une fois des crises nerveuses graves & du délire. Cela a été cause qu’ayant dû aller dans un asile d’aliénés nous nous sommes séparés lui et moi. Mais que de fois avons nous auparavant causé de vous ensemble. Gauguin est actuellement encore avec un de mes compatriottes  1v:3 nommé de Haan et de Haan le loue beaucoup et s’en trouve pas mal d’etre avec lui.
Vous trouverez article sur des toiles de moi aux Vingtistes,3 je vous assure que moi je dois beaucoup à des choses que Gauguin me disait pour le dessin et tiens en haute, très haute estime sa façon d’aimer la nature. Car à mon avis il vaut encore mieux comme homme que comme artiste. Est ce que cela va bien chez vous? et travaillez vous toujours beaucoup?
Quoique ce ne soit pas une cause de joie d’être malade, pourtant je n’ai pas le droit de m’en plaindre car il me semble que la nature fait que la maladie est un moyen de nous redresser, de nous guérir plutôt qu’un mal absolu.
Si jamais vous venez à Paris,  1r:4 prenez si vous voulez une toile de moi chez mon frère si vous continuez l’idée de faire un jour une collection pour votre patrie.4 Vous vous rappelez que je vous en ai déja parlé, que c’était mon grand désir de vous en donner une dans ce but. Comment va l’ami Mac Knight.5 S’il est encore avec vous ou s’il y a avec vous d’autres que j’ai eu le plaisir de rencontrer, dites luia bien le bonjour pour moi. Veuillez surtout me rappeler au bon souvenir de Mme Russell et croyez moi, avec poignée de main en pensée

bien à vous
Vincent van Gogh

c/o Docteur Peyron
St Remy en Provence.

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