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le 22 Oct. 1889

Mon cher Vincent,
Sous ce pli tu trouveras fr 150.– pour Mr Peyron1 & pour ton voyage à Arles. J’avais dit dans mes lettres à Mr Peyron qu’il devait me dire s’il avait eu des frais supplémentaires, il n’en a jamais parlé. Demandes lui donc, si tu veux, de m’indiquer s’il lui est dû quelque chose chaque fois quand il m’accuse réception de ma lettre mensuelle, alors cela ne monte pas. J’espère que tu vas  1r:2 toujours bien & que tu as bonne chance avec le travail. J’ai eu plusieurs personnes pour voir tes tableaux. Le fils Israëls,2 qui habite Paris pendant quelque temps, Veth, un hollandais qui fait des portraits & qui écrit dans le Nieuwe Gids, ce journal dont tu as peut être entendu parler, qui indigne tant les gens,3 mais où il paraît souvent de bonnes choses & puis van Rijsselberghe, un des Vingtistes de Bruxelles,4 ce dernier a vu aussi tout ce qu’il y a chez Tangui & tes travaux semblent l’intéresser beaucoup. En Belgique ils sont déjà plus habitués à la peinture colorée, l’exposition des 20 a fait du bien à cela, malgré cela on n’y achète rien. L’exposition des Indépendants est  1v:3 terminé & j’ai de retour tes iris;5 c’est une de tes bonnes choses. Je trouve que tu es le plus fort en faisant des choses vraies, comme cela, ou comme la diligence de Tarascon,6 ou la tête d’enfant,7 ou le sous bois avec le lierre, en hauteur.8 La forme est si bien arêtée et l’ensemble est plein de couleur. Je sens bien ce qui te préoccupe dans les nouvelles toiles comme le village au clair de lune9 ou les montagnes10 mais je trouve que le recherche du style enlève au sentiment vrai des choses. Dans le dernier envoi de Gauguin il y a les mêmes préoccupations que chez toi, mais chez lui il y a beaucoup plus de souvenirs  1v:4 des Japonais, des Egyptiens etc. Quant à moi j’aime mieux voir une bretonne du pays qu’une bretonne avec les gestes d’une japonaise, mais en art il n’y a pas de limites, il est donc bien permis de faire comme on l’entend.11 Guillaumin a été en Auvergne cet été dont il a rapporté quelques bonnes toiles.12 Lui il ne cherche pas beaucoup de nouveau dans la coloration. Il se contente de ce qu’il a trouvé et on retrouve toujours ses mêmes taches roses, orangés & bleus violets, mais sa touche est vigoureuse & sa vue sur la nature est bien large. Pissarro est parti13 & doit s’occuper de ce bravhomme à Auvers.14 J’espère qu’il réussira & qu’au printemps prochain sinon plus tôt tu viennes nous voir. Jo se porte bien, elle grossit considérablement et sent déja vivre l’enfant, mais cela ne lui cause pas trop de désagréments. La mère nous a envoyé une lettre de Cor. il est arrivé à Johannesberg. C’est un pays bien sauvage où il faut se promener toute la journée avec un révolver. Il n’y a pas de plantes, rien que du sable. sauf dans des endroits qui sont comme des oasis. Il faut que ma lettre parte. Jo te dit bien bonjour. Reçois une bonne poignée de mains et

t.t.
Theo

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