1r:1
1Mon cher frère,
1*tout en t’ayant déjà écrit il reste bien
2des chôses que tu m’as dites & auquelles je n’ai pas
3encore répondu. d’abord que tu aies loué une
4chambre dans la maison de Tanguy & que mes
5toiles sont là/ c’est fort intéressant – pourvu que
6ce ne soit pas cher que tu la payes1 – les frais
7continuant toujours et les toiles tardant toujours
8à rapporter/ cela m’effraye souvent_
9Quoi qu’il en soit je trouve que c’est une très bonne
10mesure et je t’en remercie comme de tant d’autres
11chôses_– C’est curieux que Maus aie l’idée d’in-
12viter le petit Bernard & moi pour prochaine
13exposition des Vingtistes/ je voudrais bien y exposer
14tout en sentant mon infériorité à côté de tant
15de Belges qui ont énormement du talent_
16Ainsi ce Mellery est un grand artiste_ Et il se
17tient aussi depuis déjà nombre d’années_
18mais je ferais de mon mieux pour tâcher de
19faire cet automne quelque chôse de bon.
20Je travaille d’arrache pied dans ma chambre
21ce qui me fait du bien et chasse à ce que je
22m’imagine ces idées abnormales.
23Ainsi j’ai refait la toile de la chambre
24à coucher_2 Cette étude-là est certes une
25des meilleures – tôt ou tard il faut carrément
26la rentoiler_– Elle a été peinte si vite et
27a séché de façon que/ l’essence s’évaporant
28tout de suite/ la peinture ne s’est pas du
29tout collé ferme sur la toile_3 Cela sera
30le cas pour d’autres études de moi aussi
31qui ont été peintes très vite et en
32pleine pâte. D’ailleurs après quelque
33temps cette toile mince s’en va
34et ne peut supporter beaucoup de pâte_
35Tu as pris d’excellents chassis/ sacrématin
36si j’en avais ici de comme çà pour travailler
37ca vaudrait mieux que ces lattes d’ici qui
38se courbent au soleil.
39On dit – et je le crois fort volontiers – qu’il est
40difficile de se connaitre soi-même – mais il n’est
41pas aisé non plus de se peindre soi-même_
42Ainsi je travaille à deux portraits de moi
43'dans ce moment – faute d’autre modèle –  1v:2
44parcequ’il est plus que temps que je fasse un peu
45de figure. l’un je l’ai commencé le premier jour
46que je me suis levé/ j’étais maigre/ pâle
47comme un diable_ C’est bleu violet foncé
48et la tête blanchâtre avec des cheveux jaunes
49donc un effet de couleur_4
50mais depuis j’en ai recommencé un de
51troisquarts sur fond clair_5
52Puis je retouche des études de cet été – enfin
53je travaille du matin jusqu’au soir.
54Est ce que tu vas bien – bigre je voudrais bien
55pour toi que tu fusses 2 ans plus loin
56et que ces premiers temps de mariage/
57quelque beau que ce soit par moments/ fussent
58derriere le dos. Je crois si fermement qu’un
59mariage devient surtout bon à la longue
60et qu’alors on se refait le tempérament_
61Prends donc les chôses avec un certain
62flegme du nord et soignez vous bien tous
63les deux. Cette sacré vie dans les beaux arts
64est éreintante à ce qui parait.
65Les forces me reviennent de jour en jour
66et il me parait de nouveau que j’en
67ai déjà de trop presque_ Car pour
68rester assidu au chevalet il n’est pas nécessaire
69d’être un hercule.
70Cela m’a fait beaucoup penser à
71des peintres belges de ces jours ci et durant
72ma maladie/ que tu me disais que Maus
73avait été voir mes toiles. Alors des souvenirs
74me viennent comme une avalanche
75et je cherche à me reconstruire toute
76cette école d’artistes modernes flamands
77jusqu’à en avoir le mal du pays comme
78un Suisse.6
79Ce qui n’est pas bien car notre chemin
80est – en avant – et retourner sur
81ses pas c’est défendu et impossible_
82C. à dire on pourrait y penser sans s’abimer
83dans le passé d’une nostalgie trop
84melancolique.
 1v:3
85Enfin Henri Conscience est un écrivain
86pas du tout parfait mais par ci par là/
87un peu partout/ quel peintre! et
88quelle bonté dans ce qu’il a dit et voulu_
89J’ai tout le temps dans la tête une préface – (celle
90du conscrit) d’un de ses livres où il dit avoir été
91très malade et que dans sa maladie malgré
92tous ses efforts il avait senti
93s’évanouir son affection pour les hommes
94et que par de longues promenades en plein
95champs ses sentiments d’amour lui
96etaient revenus_7
97Cette fatalité de la souffrance et du
98'désespoir – enfin me voilà encore
99remonté pour une période – j’en dis
100merci.
101Je t’écris cette lettre peu à peu dans des in-
102tervalles quand je suis las de peindre_– Le travail
103va assez bien – je lutte avec une toile commencée
104quelques jours avant mon indisposition_ Un faucheur/
105l’étude est toute jaune/ terriblement empâtée
106mais le motif était beau et simple.8 J’y vis alors
107dans ce faucheur – vague figure qui lutte comme un
108'diable en pleine chaleur pour venir à bout de sa besogne –
109j’y vis alors l’image de la mort/ dans ce sens
110que l’humanité serait le blé qu’on fauche.
111C’est donc si tu veux l’opposition de ce semeur que
112j’avais essayé auparavant.9 Mais dans cette mort
113rien de triste/ cela se passe en pleine lumière avec
114un soleil qui inonde tout d’une lumière d’or fin_
115Bon m’y revoila/ je ne lâche pourtant pas prise
116et sur une nouvelle toile je cherche de nouveau_10
117Ah, je croirais presque que j’ai une nouvelle periode
118de clair devant moi_
119Et que faire – continuer pendant ces mois--
120là ici ou changer – je ne sais_– C’est
121que les crises lorsqu’elles se présentent ne
122sont guere drôles/ et risquer d’avoir une attaque
123comme cela avec toi ou d’autres c’est grave.
 1r:4
124mon cher frère – c’est toujours entre temps du travail
125que je t’écris – je laboure comme un vrai possédé/
126j’ai une fureur sourde de travail plus que jamais
127et je crois que ça contribuera à me guérir.
128Peut-être m’arrivera-t-il une chôse comme celle
129dont parle Eug_ Delacroix – “j’ai trouvé la peinture
130lorsque je n’avais plus ni dents ni soufle”/11 dans ce
131sens que ma triste maladie me fait travailler
132avec une fureur sourde – très lentement – mais
133du matin au soir sans lâcher – et – c’est
134probablement le secret – travailler longtemps
135et lentement_ Qu’en sais je mais je crois que
136j’ai une ou deux toiles en train pas trop mal/
137d’abord le faucheur dans les blés jaunes
138et le portrait sur fond clair_ Ce sera pour
139les Vingtistes si toutefois ils se souviennent de moi
140au moment donné/ or ce me serait absolument
141égal sinon préférable qu’ils m’oublient_
142Puisque moi je n’oublie pas l’inspiration
143que cela me donne de me laisser aller aux
144souvenir de certains belges_ C’est là le positif
145et le reste tellement secondaire_
146Et nous voilà déjà en Septembre/ vite nous serons
147en plein automne et puis l’hiver_
148Je continuerai à travailler très raide et puis si
149vers Noel la crise revient nous verrons/ et cela passé
150alors je n’y verrais pas d’inconvénient à envoyer à
151tous les diables l’administration d’ici et de revenir dans
152le nord pour plus ou moins longtemps. Quitter
153maintenant/ alors que je juge probable une
154nouvelle crise en hiver c. à. d. dans 3 mois/ serait
155peutêtre trop imprudent.
156Il y a 6 semaines que je n’ai pas mis le pied dehors/ même pas dans le jardin_
157semaine prochaine lorsque j’aurai fini les toiles en
158train je vais cependant essayer.
159Mais encore quelques mois et je serai à tel
160point avachi et hébété qu’un changement
161fera probablement beaucoup de bien.
162Cela c’est provisoirement mon idée là-dessus/
163bien entendu c’est pas une idée fixe.
164Mais suis d’avis qu’il ne faut pas plus se gêner
165avec les gens de cet établissement qu’avec des
166propriétaires d’hôtel_ On leur a loué une chambre
167pour autant de temps et ils se font bien payer pour
168ce qu’ils donnent et voilà absolument tout_
169Sans compter que peutêtre ils ne demanderaient pas
170mieux qu’un état chronique de la chôse et on serait
171coupablement bête si on donnait là-dedans.
172Ils s’informent beaucoup trop à mon goût de ce que
173non seulement moi mais toi gagnent &c.
174Ainsi y poser un lapin.– sans se brouiller.–
 2r:5
175Je continue encore cette lettre entre temps. hier j’ai
176commencé le portrait du surveillant en chef et peut-être
177je ferai aussi sa femme car il est marié et demeure dans
178un petit mas à quelques pas de l’établissement.12
179Une figure fort interessante. il y a une belle eau forte
180de Legros représentant un vieux noble espagnol/ si tu
181t’en rappelles cela te donnera une idée du type.13 Il a
182été à l’hospice de Marseille pendant 2 epoques de cholera/14
183enfin c’est un homme qui a énormement vu mourir et
184souffrir et il y a dans son visage je ne sais quel recueillement/
185tel/ que la figure de Guizot – car il y a de cela dans cette
186tête – mais différent – me vient involontairement à la memoire_
187Mais lui est du peuple et plus simple. Enfin tu verras si
188je le réussis et si j’en fais une répétition.
189Je lutte de toute mon énergie pour maitriser mon travail/
190me disant que si je gagne cela ce sera le meilleur
191paratonnerre pour la maladie. Je me ménage
192beaucoup en m’enfermant soigneusement/
193c’est égoiste si tu veux de ne pas plutôt m’habituer
194à mes compagnons d’infortune ici et d’aller les
195voir mais enfin je ne m’en trouve pas mal
196car mon travail est en progrès et de cela nous
197en avons besoin car il est plus que nécessaire
198que je fasse mieux qu’auparavant ce qui n’était
199pas suffisant.
200Ne vaut-il pas mieux que si tot ou tard je reviendrais
201encore d’ici/ j’en revienne décidemment capable de
202faire un portrait qui ait quelque caractère/ que de
203revenir comme je suis parti. C’est grossierement
204exprimé car je sens bien qu’on ne peut pas dire
205“je sais faire un portrait” sans dire un mensonge/
206parceque cela est infini_ Mais enfin tu
207comprendras ce que je veux dire/ qu’il faut
208que je fasse mieux qu’auparavant_
209Actuellement la pensée marche regulierement
210et je me sens absolument normal – et
211si je raisonne à present de mon état avec
212l’espérance d’avoir en general entre
213les crises – si malheureusement il est à
214craindre que cela reviendra toujours de temps en
215'temps – d’avoir entre temps des periodes
216de clarté et de travail – si je raisonne  2v:6
217à présent de mon état alors certes je me dis
218qu’il ne faut pas que j’aie l’idée fixe d’être
219malade. mais qu’il faut continuer ma
220petite carriere de peintre fermement. Dès
221lors de rester dès maintenant pour de bon dans
222un asile serait probablement exagerer les
223chôses_
224Je lisais encore dans le Figaro il y a quelques
225jours une histoire d’écrivain russe qui a
226vecu avec une maladie nerveuse dont il est
227mort tristement d’ailleurs/ qui lui causait des
228attaques terribles de temps à autre_
229Et qu’y peut on/ il n’y a pas de remède ou
230s’il y en a c’est de travailler avec ardeur_15
231Je m’appesantis là-dessus plus qu’il ne faut_
232Et j’aime en somme mieux avoir ainsi
233carrement une maladie que d’être comme
234j’etais à Paris alors que cela couvait_
235Aussi tu verras ceci quand tu mettras le portrait
236sur fond clair que je viens de terminer à côté
237de ceux que j’ai fait de moi à Paris/
238qu’à present j’ai l’air plus sain qu’alors et
239même beaucoup_16
240Je suis même porté à croire que le portrait
241te dira mieux que ma lettre comment je
242vais et que cela te rassurera – il m’a couté
243du mal.
244Et puis le faucheur marche je crois aussi – c’est
245tres très simple_
246Fin du mois tu peux compter sur 12 toiles de
24730 j’ose dire17 mais il y aura deux fois les mêmes
248à peu près/ l’etude et le tableau définitif_18
249Enfin plus tard – peutêtre que mon voyage dans
250le midi portera des fruits pourtant car la différence
251de la lumière plus forte/ du ciel bleu/ cela apprend
252à voir et alors surtout et seulement même/ quand
253on voit cela longtemps.
254Le nord me paraitra certes tout à fait nouveau
255mais j’ai tellement regardé les
256chôses que je m’y suis fortement attaché, et il m’en  2v:7
257restera de la mélancolie longtemps.
258Je pense à une drole de chôse_– Dans Manette Salomon
259on discute l’art moderne et je ne sais quel artiste
260parlant de “ce qui restera” dit: ce qui restera
261'c’est “les paysagistes”19 – cela a été un peu vrai
262car Corot/ Daubigny/ Dupré/ Rousseau –
263Millet en tant que paysagiste/ ça dure et
264lorsque Corot dit sur son lit de mort: j’ai vu en
265rève des paysages avec des ciels tout rose/
266c’etait charmant;20 alors – très bien – dans
267Monet/ Pissarro/ Renoir nous les voyons
268ces ciels tout roses/ ainsi les paysagistes
269cela reste très bien/ cela a été bigrement
270vrai.– Laissons de côté la figure de
271Delacroix/ de Millet_
272Après/ actuellement qu’est ce que nous
273commençons timidement à entrevoir
274d’original et de durable – le portrait_
275c’est du vieux ça/ peut-on dire – mais
276c’est aussi très-neuf. Nous causerons
277encore de cela – mais continuons toujours
278à rechercher des portraits/ surtout d’artistes/
279tel le Guillaumin et le portrait de jeune
280fille de Guillaumin21 et garde bien mon
281portrait par Russell auquel je tiens tant_22
282As tu encadré le portrait de Laval/ tu ne m’as
283pas dit ce qu’il t’en semblait je crois/ je trouvais
284cela epatant le regard à travers le lorgnon/
285regard si franc_23
286La volonté que j’ai de faire du portrait
287de ces jours ci est terriblement tendu/
288enfin Gauguin et moi nous causions
289de cela et d’autres questions analogues de
290facon à nous tendre les nerfs jusqu’à l’extinction
291de toute chaleur vitale_
292mais de cela il doit pourtant surgir quelques
293bons tableaux j’ose croire et nous les cherchons
294et ils doivent à ce que je m’imagine faire
295du bon travail en Bretagne. J’ai recu
296une lettre de G./ je crois deja te l’avoir dit24
297et je suis très curieux de voir un jour ce qu’ils
298font.
 2r:8
299Je dois te demander les articles de peinture
300suivants.

301 10 mètres toile
302Grands tubes 6 tubes blanc de zinc
303 ,, ,, 2 ,, vert d’emeraude
304 2 ,, cobalt
305Petits tubes
306 2 Carmin
307 1 vermillon
309 1 Grand tube laque ordinaire
310 6 pinceaux Putois/25 poil noir

[sketch A]
311Puis j’ai promis au surveillant d’ici un
312N° du Monde illustré/ N° 1684/ 6 Juillet 1889/
313où il y a une gravure très-jolie d’après Dumont Breton_26
314Ouf – le faucheur est terminé/ je crois
315que ca en sera un que tu mettras chez toi – c’est une image
316de la mort tel que nous en parle le grand livre
317de la nature27 – mais ce que j’ai cherché
318c’est le “presqu’en souriant_–”28 C’est tout
319jaune sauf une ligne de collines violettes – d’un
320jaune pâle et blond. Je trouve ça drôle moi
321que j’aie vu ainsi à travers les barreaux de
322fer d’un cabanon_
323Eh bien sais tu ce que j’espère une fois
324que je me mets à avoir de l’espoir/ c’est que
325la famille soit pour toi ce qu’est pour
326moi la nature/ les mottes de terre/ l’herbe/
327le blé jaune/ le paysan_ C. à. d. que
328tu trouves dans ton amour pour les gens
329de quoi non seulement travailler mais
330de quoi te consoler et te refaire alors
331qu’on en a besoin. Ainsi je t’en prie/
332ne te laisse pas trop ereinter par les
333affaires mais soignez vous bien tous
334les deux – peutêtre dans un avenir
335pas trop éloigné il y a encore du bon_
 3r:9
336j’ai bien envie de refaire le faucheur encore une fois pour la
337'mère sinon je lui ferai un autre tableau pour sa fête/29 cela
338viendra plus tard car je l’enverrai avec le reste_
339Car je suis persuadé que la mère le comprendrait – car c’est en
340effet aussi simple qu’une de ces gravures sur bois grossières
341qu’on trouve dans les almanachs de campagne.
342Envoie moi la toile dès que tu pourras car si je veux encore
343faire d’autres repetitions pour les soeurs aussi et si j’entreprends
344de nouveaux effets d’automne j’aurai de quoi remplir mon
345temps d’un bout à l’autre pour ce mois ci_
346Je mange et je bois comme un loup à present. Je dois
347dire que le médecin30 est tres bienveillant à mon égard_
 3v:10
348oui, je crois que c’est une bonne idée d’aller faire quelques
349tableaux pour la Hollande/ pour la mère et les deux soeurs ça fera
350trois c. à. d. le faucheur/ la chambre à coucher/ les oliviers/
351champ de blé et cyprès/ cela fera quatre même car alors
352j’ai encore une autre personne pour qui j’en ferai un aussi_31
353Je travaillerai à cela avec autant de plaisir et plus de calme
354que pour les Vingtistes/ c’est entendu/ puisque je me sens
355de la force sois sûr que je vais chercher à en abattre du travail_
356Je prends les meilleurs qu’il y ait dans 12 motifs donc ils auront toujours
357des chôses un peu etudiées et choisies_ Et puis il y a du bon de travailler
358pour les gens qui ne savent pas ce que c’est qu’un tableau_
359Bonne poignée de main à toi et à Jo.

359*t. à t.
360Vincent

 4r:11
361J’ouvre encore une fois cette lettre pour te dire que je
362viens de voir M. Peyron/ je ne l’avais pas vu depuis 6 jours.
363Il me dit que ce mois ci il compte aller à Paris
364et qu’il te verra alors. Cela me fait plaisir
365car il a/ c’est incontestable/ beaucoup d’expérience
366et je crois qu’il te dira ce qu’il en pense assez
367franchement_
368A moi il m’a seulement dit – “espérons
369que cela ne reviendra pas” mais enfin
370moi je compte que cela reviendra pendant
371assez longtemps/ au moins quelques années_
372Mais j’y compte aussi que le travail/ loin
373de m’être impossible/ entre temps peut aller
374son train et même est mon remède_
375Et alors je dis encore une fois –
376mettant le médecin M. Peyron hors
377de cause absolument – que vis à vis
378de l’administration d’ici il faut
379probablement être poli/ mais qu’il
380faut se borner à cela mais s’engager
381à rien.
382C’est très grave que partout ici où
383je demeurerais un peu longtemps
384'j’aurais peutêtre affaire à des préjugés
385populaires – j’ignore même quels sont
386ces préjuges – qui me rendraient la
387vie avec eux insupportable.
388Mais enfin j’attends ce que M_ Peyron
389te dira/ je n’ai moi aucune idée
390de son opinion. J’ai travaillé cette
391après midi au portrait du surveillant/ qui
392avance_ Si ce n’était très temperé – tout à fait –
393par un regard intelligent et une expression de bonté
394ce serait un vrai oiseau de proie: C’est bien un
395type du midi.
396Je suis curieux si cette fois ci le voyage projeté
397de M. Peyron se réalisera en effet, je suis
398tres curieux de savoir ce qui puisse
399en résulter.
 4v:12
400avec encore une année de travail
401peutêtre arriverai je à une sureté
402de moi au point de vue artistique_
403'Et c’est toujours quelque chose qu’il
404vaut la peine de rechercher_
405Mais là il faut que j’aie de la chance_
406Ce que je rêve dans mes meilleurs
407moments ce ne sont pas tant des
408effets de couleur éclatante que
409encore une fois les demi tons_
410Et certes la visite au musee de Montpellier
411a contribué à donner cette tournure
412à mes idées_ Car ce qui me touchait là
413davantage que les magnifiques Courbet
414qui sont des merveilles/ les demoiselles de
415village/ la fileuse endormie32 – c’etaient
416les portraits de Brias par Delacroix et par Ricard33
417puis le Daniel/34 les odalisques de Delacroix/
418tous en demi tons. Car ces odalisques
419sont tout autre chose que celles du Louvre_35
420C’est violacé surtout.
421Mais dans ces demi tons quel choix
422et quelle qualité.
423Il est temps que je fasse partir enfin
424cette lettre – je pourrais te dire en
425deux pages ce qu’elle contient c. à d_
426rien de neuf. mais enfin je n’ai
427pas le temps de la refaire_
428Bonne poignée de main encore
429une fois et si ça ne te dérange pas trop
430fais moi avoir la toile aussitot
431possible.

432t. à t_
433V.


43 modèle – < modèle
98 enfin < Enfin
108 besogne – < besogne
215 – d’avoir < d’avoir
261 paysagistes” < paysagistes
337 sinon < si non
384 affaire < à faire
403 qu’il < qui
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