1r:1
1Boussod, Valadon & Cie

2Succrs de Goupil & Cie
3Editeurs Imprimeurs

4Estampes, Livres d’Art
5Tableaux

619, Boulevard Montmartre, 19

7Paris, le 5 Sept [188]9

8Mon cher Vincent,
9Tu m’as fait un bien
10grand plaisir en m’écrivant, quand
11on ne sait pas on pense encore
12pire que la réalité. C’est déja assez
13mauvais que tu aies eu une crise, mais
14heureusement je vois dans ta lettre
15qu’actuellement tu es mieux. La vue
16de ta fenêtre dont tu donnes le croquis1
17doit être bien belle, à Paris on languit
18quelquefois de voir la vraie campagne
19comme tu en dessines un morceau. Dans
20les environs de Paris on ne voit jamais
21les paysans & vrai je ne sais plus quand  1r:2
22on récolte le blé ou les pommes de terre_
23C’est vrai qu’en ville on rencontre des gens
24qui certes sont intéressants aussi, mais
25on en a quelquefois assez & quand alors
26on ne peut pas s’en aller/ un
27tableau de la vraie campagne fait
28du bien et certes dans ces moments un
29Bodmer fera autant ou plus de
30plaisir que tel tableau savant comme
31technique, mais qui n’a pas ce quelque
32chose de vrai et de sain comme une
33tartine de pain noir_ Rousseau
34a aussi ce côté connaisseur. Il y a
35à l’Exposition des tableaux de lui
36avec des coins de forêt où on reconnaît
37toutes les espèces d’arbres avec de la vraie
38'bruyère et de la vraie fougère à leurs pieds_2
39Certes si ces gens ne sont pas artiste/
40et il faut être rudement difficile pour
41ne pas les prendre comme tel,3 ce sont en
42tout les cas des hommes et de ceux
43dont on voudrait que le monde soit  1v:3
44plein. Il y a le vieux père Pissarro
45qui a fait tout de même de bien belles
46choses dans ces derniers temps & justement
47on y trouve aussi ces qualités de rusticité
48qui montrent immédiatement que l’homme
49est plus à son aise dans une paire de sabots
50que dans des bottines vernies. Dernièrement
51il a perdu sa mère qui était bien vieille
52'mais cela l’a frappé tout de même;4 il a
53aussi dû se faire faire une opération à un
54oeuil, mais je ne crois pas que cela l’ait
55guéri. Il porte toujours une espèce de muselière
56qui l’embête bien.5 Il vend bien difficilement6
57et il a bien du mal, mais toujours courageux.
58Un de ses fils est à Londres, il parait que
59là il y a des écoles où on apprend la
60décoration et où les élèves sont absolument
61libre de comprendre le sujet comme ils
62l’entendent.7 La première chose que l’on lui
63a donné à faire c’était une frise
64composé de ronces. Il serait bien bon
65que l’on fasse içi la même chose
66en laissant faire les gens à leur guise/
67ils trouveront des ornements puisés dans  1v:4
68la nature & il pourra s’en suivre bien des
69changements pour les décorations intérieures
70etc. C’est dommage qu’en Angleterre les
71impressionnistes ne sont pas connus, il doit
72y avoir là des gens qui les aimeraient.
73Tersteeg m’a envoyé cette semaine huit
74aquarelles de J_H_ Weissenbruch, qui entre
75parenthèse n’est pas mort, elles sont bien bien
76belles.8 Si lui il ne s’attache pas au détail
77de la végétation, il connait le caractère
78de la campagne hollandaise comme
79Daumier connaissait ses avocats, les arbres
80rabougris, les routes boueuses à travers les prairies,
81et ses ciels sont ils bien comme on les voit
82en Hollande! Je suis bien content que Tersteeg
83ait eu le courage de lui en acheter, il est
84toujours le même, il commence par dire non
85et au bout de quelque temps il y revient &
86souvent change d’avis. Içi où on a compris
87Jongkind9 on pourra bien comprendre aussi celui là_
88En tous les cas c’est à essayer.– Gauguin
89m’a envoyé quelques nouvelles toiles. Il dit
90qu’il hésitait à les envoyer comme ce qu’il
91cherche n’y est pas comme il le voulait_  2r:5
92Il dit l’avoir trouvé dans d’autres toiles qui ne
93sont pas encore sèches.10 Toujours est il que son
94envoy ne m’a pas paru aussi beau que celui
95de l’année dernière,11 mais il y a une toile
96qui est de nouveau un bien beau Gauguin.
97Il l’appèle La belle Angèle.12 C’est un portrait
98disposé sur la toile comme les grosses têtes
99dans les crépons japonais/ il y a le portrait
100en buste avec son cadre & puis le fond.
101C’est une bretonne assise, les mains jointes/
102'costume noir/ tablier lila & collerette blanche/
103le cadre est gris & le fond d’un beau
104bleu lilas avec fleurs rozes & rouges. L’expression
105de la tête et l’attitude sont très trouvés_
106La femme ressemble un
107peu à une jeune vache, mais il y a quelque
108chose de si frais & encore une fois si campagne,
109que c’est bien agréable à voir.– Maintenant
110il faut encore que je te raconte, que
111l’exposition des Indépendants est ouverte
112et qu’il y a tes deux tableaux/ “les iris”
113et la nuit étoilée.13 Le dernier est mal
114placé car on ne peut pas se mettre à une  2v:6
115distance assez grande, la salle étant très
116étroite/ mais l’autre fait excessivement
117bien. Ils l’ont mis sur le côté étroit de
118la salle et il frappe de loin. C’est
119une belle étude plein d’air & de vie_
120Il y a des Lautrec qui font très bien, entre
121autres un bal au Moulin de la galette
122qui est très bien.14 On ne pouvait envoyer
123que deux tableaux chaque car l’exposition
124a lieu dans un local bien plus petit que
125là où elle était jusqu’à présent.15 Seurat
126a des bords de la mer/16 Signac deux
127paysages.17 Il y a aussi un tableau de Hayet/
128cet ami de Lucien Pissarro: la place de la
129Concorde le soir avec les voitures/ les
130bec de gaz etc.18 C’est un peu comme ce tableau
131des saltimbanques de Seurat19 mais plus harmonieux.–
132Nous nous portons très bien, je ne tousse presque
133plus & je me sens plus solide. Jo va bien aussi/ on
134commence à voir qu’elle est enceinte, mais cela ne
135la gène pas encore. Une de ses soeurs est actuellement
136avec nous.20 La mère a eu une lettre de Cor, il est déjà
137loin & se portait bien. Si tu veux écris moi quelques mots/
138merçi encore une fois de ta lettre. Bon courage &
139bonne poignée de mains, aussi de Jo_

139*t_ à t_
140Theo


- Printed letterhead.
38 fougère < fugère
52 même; < même
102 tablier < tabelier
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