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Boussod, Valadon & Cie
Succrs de Goupil & Cie
editeurs imprimeurs

Estampes, Livres d’Art
Tableaux

19, Boulevard Montmartre, 19
Paris, le 2 Mai [188]9

Mon cher Vincent,
Je te remercie bien de ta lettre1 qui nous montre qu’au moins tes forces physiques ne laissent pas à désirer, puisque tu dis que tu en as de trop; cependant il faut te méfier, quand on sent ses forces ce n’est pas prouvé qu’on en a beaucoup, mais si cela est le cas, tant mieux. Maintenant il y a dans ta lettre quelque chose que je désapprouve entièrement & que je vais te dire, tu feras après ce que  1r:2 tu voudras. C’est tes projets pour la légion étrangère. C’est un pis aller n’est ce pas? car je ne pense pas que tu aies spontanément pris un gout pour ce métier. C’est que ne pas pouvoir faire de la peinture en ce moment, que tu es en convalescence, te donne l’idé de ne plus pouvoir en faire du tout, alors tu te dis que trois mois de soins sans pouvoir travailler coutent de l’argent et n’en rapportent point, mais tu oublies que mettons qu’étant soldat on te laisse travailler, tu es là tenu comme un gamin dans un pensionnat et que si tu crains déjà la surveillance d’une maison comme à St Remy tu as bien plus à craindre les usages de la vie militaire. En somme cette idé provient d’une crainte excessive de me causer des frais & des ennuis & inutilement tu te crées des casse têtes. L’année dernière n’a pas été mauvaise pour moi au point de vue  1v:3 de l’argent2 & tu peux donc sans scrupule et sans me gêner compter sur ce que je t’envoyais avant. Si cela ne te repugne pas d’aller à St Remy pour disons qu’un mois, tu aurais été examiné par des médecins spécialistes & probablement aurais tu pu profiter de leur conseils.
D’un autre côté dans une lettre que m’a écrit le Directeur de l’établissement de St Remy, il ne veut s’engager à rien au sujet de t’accorder de sortir quand tu le désirera avant de t’avoir examiné,3 mais je suppose qu’après t’avoir vu il n’y a pas de doute qu’il ne te laisse libre de sortir pour aller travailler. Pour moi j’attribue une grande partie de ta maladie à ce que ton existance matérielle a été trop négligé. Dans un établissement comme à St Remy il y a à peu près la même régularité dans les heures de repas etc. & je crois que cette régularité ne te feras pas de mal,  1v:4 au contraire. Maintenant si tu préfères nous pouvons bien prendre des renseignements sur la maison d’Aix ou de Marseille pour voir si là on fera d’autres conditions.
Sais tu bien qu’à un point de vue tu n’est pas à plaindre, quoiqu’il paraisse autrement. Combien n’y en a t’il pas qui voudraient avoir fait le travail que tu as livré, qu’est ce que tu demandes en plus, n’était ce pas là ton désir d’avoir créé quelque chose, s’il t’a été donné de faire ce que tu as fait, pourquoi est ce que tu désespérerais qu’il ne te vienne un temps ou tu feras encore de la bonne besogne. Si mauvais que soit la société actuellement il y a moyen d’y vivre, la preuve Puvis de Ch.,4 Degas, et autres. Je suis persuadé que si tu veux tu peux d’içi peu reprendre ton travail. Ne crois pas cependant que je ne sens pas toute la désilusion quand tu es rentré dans ton atelier par exemple après qu’il fût moisi par l’humidité. Tiens encore courage, tes désastres surement prendront fin.
Bien des choses de ma femme qui se porte bien. Elle s’habitue bien à la maison. Bonne poignée de mains.

Theo

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