1r:1
le 24 Avril 1889

Mon cher Vincent,
J’ai été bien touché par ta lettre que nous avons reçu hier,1 tu dis vraiment trop de bien d’une chose qui n’est que toute naturelle, sans compter que tu me l’as rendu plusieurs fois, et par ton travail et par une fraternité qui vaut plus que tout l’argent que jamais je possederai.  1v:2
Je suis bien peiné en te sachant encore toujours dans un état de santé incomplèt. Quoique rien dans ta lettre ne trahit une faiblesse d’esprit, au contraire, le fait que tu juges nécessaire d’entrer dans une maison de santé est déjà assez grave. Espérons que cela ne sera qu’à titre préventive. Comme je te connais assez pour te croire capable de tout les sacrifices imaginables, j’ai pensé que la possibilité existe que tu aies pensé à cette solution pour gêner moins ceux qui te connaissent. Si cela est le cas, je te suplie de ne pas le faire, car certainement la vie  1v:3 là-dedans ne doit pas être agréable. Sâches donc bien ce que tu fais et si peut être tu ne ferais pas un autre essai avant. Soit en revenant içi pendant quelque temps, soit en allant à Pont Aven pendant l’été, soit en cherchant une pension chez des gens qui auraient soin de toi.
Si tu n’as eu aucune arrière pensée en m’écrivant comme tu l’as fait je trouve que tu as parfaitement raison d’aller à St Remy. En y restant quelque temps tu pourras reprendre assurance en tes propres forces et rien ne t’empêchera de retourner à Arles au bout de quelque temps si le coeur t’en dit. M. Salles m’a envoyé des prospectus de St Remy  1r:4 où il est dit qu’il faut qu’une tierce personne demande l’admission.2 Je te mets donc sous ce pli la lettre pour le Directeur de l’établissement, dont tu pourras faire l’usage que tu voudras.3 Aussitôt que tu auras décidé ton départ je t’enverrai l’argent nécessaire.– Maintenant je veux encore te dire que nous sommes içi depuis Samedi dernier, nous sommes installés à peu près et tous les jours, l’appartement prend un aspect plus habité grace à toutes sortes d’inventions de Jo. Nous nous entendons très bien ensemble de sorte, qu’il y a une si complète satisfaction des deux côtés, que nous nous sentons plus heureux que je ne puis te le dire. Nous avons quittée la mère & les soeurs en parfaite  2r:5 santé. Moe parait rajeunir. Elle est repartie maintenant à Breda après une absence d’un mois à peu près.4 Mon mariage lui a fait bien plaisir, surtout parce que Jo et elle & Wil se conviennent absolument, du reste elle a quelque chose de si sincère dans ses manières qu’il y a beaucoup de personnes sur qui elle fait une très agréable impression. Quoiqu’il y ait bien des choses de la vie qu’elle ignore et sur lesquelles son opinion doit se former, elle a un tel fond de bien vouloir & d’ardeur à bien faire que je ne crains plus les désillusions que je redoutais avant notre mariage.  2v:6 Jusqu’à présent tout marche bien mieux que je ne l’avais pensé, et je n’avais pas osé espérer tant de bonheur. Le temps en Hollande m’a manqué pour voir beaucoup de tableaux, cependant j’ai revu la fiancée Juive5 & les autres Rembrandt, les F. Hals à Haarlem6 que j’ai trouvé plus beau que jamais & le portrait de vieille femme de Rembrandt au Musée de Bruxelles.7 Ce dernier est bien beau. Ces vieux portraits c’est ce qu’il y a de plus remarquable & de plus caractéristique en Hollande. on est bien loin de cette epoque quand on voit les gens d’àprésent. Il y avait chez C.M. une exposition de croquis au fusain de Mauve, des feuilles de ses livres d’esquisse.8 Des choses bien touchantes. Jet nous a fait cadeau d’un de ces dessins, dont je suis très très content.9
Ecris moi bientôt ce que tu auras décidé définitivement & ne désespère pas, car certes ils viendront encore de meilleurs jours pour toi.
Je te serre les deux mains.

Theo

top