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Mon cher Theo,
j’ai revu M. Salles et il m’a dit ce qu’il t’avait écrit.–1 Je crois que ce sera ainsi pour le mieux et je ne vois pas d’autre chemin. La pensée revient graduellement mais encore beaucoup beaucoup moins qu’auparavant je puis agir pratiquement.
Je suis abstraita et ne saurais pour le moment régler ma vie.
Mais laissons cela de côté autant que possible. comment ca va-t-il, es tu de retour..–
Faut que je te dise que je crois possible que tu trouveras la lettre de M. Salles encore adressee Rue Lepic.2
Comment cela va-t-il à la maison. Je m’imagine que la mère doit avoir été contente.–
Je t’assure que je suis beaucoup plus calme depuis que je m’imagine que tu as une compagne pour de bon. Surtout ne te représente pas que je sois malheureux.
Je sens profondément que cela m’a travaillé déjà depuis tres longtemps et que d’autres, apercevant des symptomes de dérangement, ont naturellement eu des aprehensions mieux fondees que l’assurance que moi je croyais avoir de penser normalement. Ce qui n’etait pas le cas car cette crise pour moi3
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Enfin cela me radoucit beaucoup dans beaucoup de jugements que j’ai, avec plus ou moins de presomption, trop souvent porté sur des personnes qui cependant me voulaient du bien.4
Enfin c’est sans doute dommage que ces réflexions me viennent à l’état de sentiment un peu tard.– Et que je ne peux naturellement rien changer au passé.
Mais je te prie de bien considérer cela et de considérer la démarche que nous faisons aujourd’hui ainsi que j’en ai causé avec M. Salles, d’aller dans un asile – Comme une simple formalité et dans tous les cas les crises repetées me paraissent avoir été graves assez pour ne pas avoir à hésiter.5
D’ailleurs quant à mon avenir ce n’est pas comme si j’avais 20 ans puisque j’en ai 36 passées.
Voilà il me semble que ce serait une torture tant pour d’autres que pour moi si je sortais de l’hospice, car je me sens et suis comme paralysé pour pouvoir agir et me debrouiller. Plus tard ma foi qui vivra verra.6
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Ainsi je voudrais te demander un tas de choses sur la Hollande et sur ces jours ci. Pauvre égoiste que j’ai toujours ete et maintenant suis encore, je ne peux sortir de cette idee que je t’ai deja deux ou trois fois expliquee pourtant, que c’est ainsi pour le mieux que j’aille dans un asile tout court. Cela reviendra peutêtre à la longue. Enfin mon excuse bien maigre est que la peinture rétrécit les idees pour le reste peutêtre. On ne peut pas être à son metier et penser au reste en même temps. C’est un peu fatal – le metier est assez ingrat et son utilité est certes contestable. Et la chose que je regrette c’est de ne pas etre allé dans un asile plus tôt, c’aurait eté plus simple.
Reste cependant que l’idee d’association des peintres, de les loger en commun, quelques uns, quoique nous n’ayons pas reussi, quoique c’est une faillite deplorable et douloureuse – cette idee reste vraie et raisonable – comme tant d’autres.–
Mais pas recommencer.7
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Saches bien que nous devons prendre la pension la plus simple absolument.–
80 francs doivent suffire et le peuvent dit m. Salles. Rey m’avertit qu’à St. Remy il n’est pas superflu de considerer qu’il y a beaucoup de gens plus ou moins aisés d’internés desquels quelques uns depensent beaucoup d’argent. Ce qui leur est souvent plus nuisible qu’utile. Je crois cela volontiers. Et je crois que chez moi la nature à elle seule fera davantage de bien que des remèdes. Ici je ne prends rien. Il faudra que je paye encore peutêtre fr 11.87 de contributions pour mobilier, on m’en a envoye un billet au moins, en outre que le restant de loyer que je dois encore au proprietaire.8 Et avant d’aller à St Remy il faut que je te fasse mon envoi de tableaux, j’ai emballé une caisse déjà.
Je voudrais t’ecrire sur autre chose mais cela me preoccupe maintenant que cette affaire se règle, je ne trouve pas les idees que je cherche pour t’ecrire sur plusieurs choses à la fois.
à bientot, j’espère que tu aies, toi et ta femme, eu bon voyage.

t. à t.
Vincent

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