1r:1
Mon cher Theo,
Pour malade je t’ai déjà dit que je ne pensais pas l’être mais je le serais devenu si mes dépenses avaient dû continuer.1
Puisque j’étais dans une atroce inquiétude de te faire faire un effort au-dessus de tes forces.
Je sentais d’un côté que je ne pouvais faire mieux que de pousser à bout la chose commencée, d’engager Gauguin à nous joindre, et d’autre part, comme tu peux le savoir par experience, lorsqu’on se meuble ou s’installe c’est que c’est plus difficile qu’on ne pense. Maintenant j’ose enfin respirer puisque nous avons eu une rude chance tous par la vente que tu as pu faire pour Gauguin. De façon ou d’autre, toujours tous les trois, lui, toi et moi pouvons un peu nous recueillir pour nous rendre compte avec calme de ce que nous venons de faire.
N’aies pas de crainte de ce que j’aurais des préoccupations d’argent.
Gauguin venu le but est provisoirement atteint. Lui et moi en combinant nos dépenses à deux ne dépenserons même pas ce que me coutait la vie ici à moi tout seul.
 1v:2
Lui pourra mettre même de côté de l’argent à fur et à mesure qu’il vend. Qui lui servira mettons dans un an pour s’installer à la Martinique et que sans cela il ne pourrait mettre de côté.
Toi tu auras mon travail et un tableau de lui en plus chaque mois.– Et moi je ferai le même travail sans avoir tant de mal et sans faire tant de frais. Mais dans le temps il me semblait que la combinaison que nous venons de faire était de bonne politique. La maison marche fort fort bien et devient non seulement comfortable mais aussi une maison d’artiste. Ne crains donc rien pour moi ni pour toi non plus.
J’ai en effet eu une horrible inquietude pour toi car si Gauguin n’avait pas eu les mêmes idées j’aurais occasionné d’assez fortes dépenses pour rien.
Mais Gauguin est étonnant comme homme, il ne s’emballe pas et il attendra ici, fort tranquillement et tout en travaillant dur,  1v:3 le bon moment de faire un immense pas en avant.
Le repos il en avait autant besoin que moi. Avec son argent qu’il vient de gagner, certes il aurait pu se payer le repos en Bretagne egalement mais comme cela est actuellement il est sûr de pouvoir attendre sans retomber dans la dette fatale. Nous ne dépenserons à deux pas plus de 250 par mois.
Et dépenserons beaucoup moins en couleur puisque nous allons en faire nous mêmes.
N’ayes donc toi de ton côté aucune inquiétude sur nous et prends haleine aussi, dont tu auras rudement besoin.
De mon côté je voudrais seulement te demander également que je ne demande qu’à continuer à un prix par mois tout ordinaire de 150 (et le même pour Gauguin). Ce qui dans tous les cas reduit ma dépense personelle. Tandis que ses tableaux certes monteront.
 1r:4
Alors après si tu gardes mes tableaux pour toi soit à Paris soit ici, je serai beaucoup plus content de pouvoir carrément dire que tu préfères garder mon travail pour nous que de le vendre, que d’avoir à me mêler de la lutte d’argent dans ce moment. Certes.–
D’ailleurs si ce que je fais soit bon alors nous n’y perdrons rien en tant que quant à l’argent car comme du vin qu’on aurait en cave cela cuverait tranquillement. D’un autre côté ce n’est que comme de juste que je me donne un peu de mal pour faire une peinture telle que même au point de vue de l’argent il soit préférable qu’elle soit sur ma toile que dans les tubes.
Maintenant j’ose espérer en terminant que dans 6 mois et Gauguin et toi et moi nous verrons que nous avons fondé un petit atelier qui durera et qui restera un poste ou une station nécessaire, au moins utile pour tous ceux qui voudront voir le midi. Je te serre la main bien fortement.

t. à t.
Vincent

 2r:5
Ce que pense Gauguin de ma décoration en général je ne le sais pas encore, je sais seulement qu’il y a déjà quelques études qu’il aime reellement, ainsi le semeur,2 les tournesols,3 la chambre à coucher.4
Et l’ensemble je n’en sais encore rien moi-même parceque il me faut encore des toiles des autres saisons.
Gauguin a déjà presque trouvé son Arlesienne5 et je voudrais vouloira déjà en être là.
 2v:6
mais de mon côté je trouve très facilement le paysage ici et assez varié.
Donc enfin mon petit travail va son train.
J’ose croire que tu aimeras le nouveau semeur.
j’ecris en hâte, nous avons des tas de travail. Nous avons lui et moi l’intention d’aller tres souvent faire flannelle dans les bordels pour les étudier.

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