1r:1
Mon cher Theo
bien merci de ta bonne lettre et du billet de 100 fr. qui y etait inclus. Et tu es bien bon de nous promettre à Gauguin et moi de nous mettre à même d’exécuter le projet d’une combinaison.1 Je viens de recevoir une lettre de Bernard qui depuis quelques jours a rejoint Gauguin, Laval et encore un autre à Pont aven.2 Dans cette lettre qui d’ailleurs est très bonne il n’est cependant pas dit une syllabe de ce que Gauguin aurait l’intention de me rejoindre et pas davantage une autre syllabe de ce qu’on me demandait là-bas. Toutefois la lettre était tres amicale. De Gauguin lui-même pas un mot depuis à peu près un mois.
Moi je crois que Gauguin préfère se débrouiller avec les amis du nord et s’il vend par bonheur un ou plusieurs tableaux pourrait avoir d’autres vues que celles de me rejoindre.
N’ai je pas, moi qui ai moins que lui le désir de la bataille Parisienne,  1v:2 le droit de faire à ma tête. Voici:
Le jour où tu pourras, voudrais tu non pas me donner mais me prêter pour un an 300 francs d’un seul coup.
alors si je metsa que tu m’envoies à présent 250 francs par mois, tu ne m’en enverrais plus que 200 après, jusqu’à que les 300 depensés d’un coup fussent payés. J’acheterais alors deux bons lits complets à 100 francs chacun et pour 100 francs d’autres meubles. Cela me mettrait en état de coucher chez moi et de pouvoir y loger Gauguin ou un autre également.
Cela me ferait un avantage de 300 francs par an car c’est toujours 1 franc par nuit que je paye au logeur.
Je me sentirais un chez moi plus fixe et réellement c’est une condition pour pouvoir travailler.
Cela n’augmenterait pas mes dépenses sur l’annee mais cela me donnerait des meubles et la possibilité d’arriver à joindre les deux bouts.
 1v:3
Alors, que Gauguin vienne ou pas c’est son affaire et du moment que nous soyons prêts à le recevoir, que son lit, son logement est là, c’est que nous tenons notre promesse.
J’insiste sur ceci, le plan reste aussi vrai et aussi solide que Gauguin vienne ou non, pourvu que notre but ne bouge pas en tant que visant de nous délivrer, moi et un autre copain, de ce cancer qui ronge à notre travail, la nécessité de vivre dans des hotelleries ruineuses. Sans aucun profit pour nous.
Ce qui est pure folie.
Etre insouciant, espérer qu’un jour ou un autre delivréb de la deche: pure illusion. Je me compterai bien heureux moi de travailler pour une pension juste suffisante et ma tranquilité dans mon atelier toute ma vie.
Eh bien, si je repète encore une fois que cela m’est on ne peut plus egal de me fixer à Pont aven ou à Arles –
 1r:4
Je me propose d’être inflexible sur ce point de fonder un atelier fixe et de coucher là et pas à l’hôtellerie.
Si tu es bon assez de nous mettre, Gauguin et moi, à même de nous installer ainsi –
je dis seulement ceci que si nous ne profitons pas de cette occasion pour nous delivrer des logeurs nous jetons à l’eau tout ton argent et notre possibilité de résister au siège de la dèche.
Là-dessus mon parti est bien pris et je ne veux pas céder sur ce point-là.
Dans les conditions présentes, tout en dépensant je n’ai pas ce qui est le juste necessaire et je ne me sens plus les forces de continuer longtemps comme cela.– Gauguin peut-il trouver la même occasion à Pont Aven, c’est bon, mais moi je te dis le prix d’ici où cette dépense accomplie, bien du gros travail sera fait. Le soleil d’ici c’est tout de même beaucoup. Comme cela est je me ruine et je m’éreinte. Maintenant c’est dit, je ne viens pas à Pont aven si c’est que je doive y loger à l’hotellerie avec ces anglais et ces gens de l’ecole des beaux arts avec qui on discute tous les soirs.3 Tempête dans une cuvette. Poignee de main.

t. à t.
Vincent

 2r:5
Vis à vis de Gauguin enfin, tout en l’appréciant je crois qu’il faudra agir en mère de famille et calculer les dépenses réelles. Si on l’écoutait on espérerait quelque chôse de bien vague pour l’avenir et on resterait à l’hôtellerie et on vivrait comme dans un enfer sans issue.
J’aime mieux me cloitrer comme des moines, libre à nous d’aller egalement comme les moines au bordel ou chez le marchand de vin si le coeur nous en dit.
mais notre travail demande un chez soi.
Gauguin me laisse en somme parfaitement dans le vague pour Pont aven, il accepte par son silence à mes lettres ma proposition de venir à lui au besoin mais il ne m’ecrit rien sur les moyens de trouver là un atelier à soi ou le prix que couteraient les meubles.  2v:6 Et cela n’est pas sans me paraitre étrange.
Non pas que cela me dérange car je sais ce que je veux et ce que je ne veux pas.–
Et je suis donc bien décidé de ne pas aller à Pont aven à moins que là aussi nous trouvions une maison dans les bas prix (15 fr. par mois est le prix de la mienne) et que nous nous y installions de façon à pouvoir y coucher.–
J’écris à la soeur ce soir si j’en trouve le temps. En pensee je l’embrasse bien.
Poignee de main.

Vincent.

as tu reçu les dessins des jardins4 et les deux dessins de figure.5 Je crois que le tableau de la tête de vieux paysan6 est aussi étrange de couleur que le semeur7 mais le semeur est un échec et la tete de paysan y est davantage.– Ah celle là je l’enverrai toute seule aussitot sèche et j’y mettrai une dedicace pour toi.8

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