1r:1
Mon cher Theo,
Lundi matin j’ai reçu ton mandat telegraphique de 50 francs dont je te remercie bien.– Seulement je n’ai pas encore reçu ta lettre ce qui me surprenait un peu.
J’ai recu une lettre de Gauguin qui dit avoir reçu de toi une lettre contenant 50 fr. ce dont il etait très touché et dans laquelle tu lui disais un mot du projet.1 Comme moi je t’avais envoyé ma lettre à lui, il n’avait lorsqu’il écrivait pas encore reçu la proposition plus nette.2
Mais il dit qu’il a l’expérience que lorsqu’il était avec son ami Laval à la Martinique à eux deux ils s’en tiraient à meilleur compte qu’un des deux seuls, qu’il était donc bien d’accord sur les avantages qu’aurait une vie en commun.3
Il dit que ses douleurs d’entrailles continuent toujours encore et il me parait bien triste. Il parle d’une esperance qu’il a de trouver un capital de six cent mille francs pour établir un marchand de tableaux impressioniste et qu’il expliquerait son plan et qu’il voudrait que toi tu fus à la tête de cette entreprise.4
Je ne serais pas étonné si cette espérance est un fata morgana, un mirage de la dèche. plus on est dans la dèche – surtout lorsqu’on est malade – plus on pense à des possibilités pareilles.
J’y vois donc dans ce plan surtout une preuve de plus qu’il se morfond et que le mieux serait de le mettre à flot le plus vite possible.
 1v:2
Il dit que lorsque les matelots ont à deplacer un lourd fardeau ou une ancre à lever, pour pouvoir soulever un plus grand poids, pour être capable d’un effort extrême, ils chantent tous ensemble pour se soutenir et se donner du ton. Que c’est là ce qui manque aux artistes. Je serais donc bien etonné s’il n’etait pas content de venir. mais les frais de l’hotel5 & de voyage sont encore compliqués de la note du medecin, ainsi ce sera bien difficile.
Mais il me semble qu’il devrait laisser la dette en plan et des tableaux en gage si c’est qu’il vienne ici, et si les gens n’acceptent pas cela laisser la dette en plan sans tableaux en gage. J’ai bien été obligé de faire la même chose pour venir à Paris6 et quoique j’ai eu une perte de bien des choses alors cela ne peut se faire autrement dans des cas comme cela et mieux vaut marcher en avant quand même que rester dans le marasme.
Je ne suis pas parti pour Stes Maries – ils ont fini de peindre la maison et j’avais à payer et puis j’ai à prendre provision de toiles assez considerable.
et des cinquante francs il me reste un louis7 et nous n’avons que mardi matin, encore cela etait donc guere possible que je parte et je crains pour la semaine prochaine que ce sera pas encore possible pas non plus.–
 1v:3
j’ai appris avec plaisir que Mouries est venu loger chez toi.–8
Si Gauguin préférerait aventurer de se relancer dans les affaires maintenant – s’il a reellement des espérances de faire quelque chôse à Paris – mon dieu qu’il y aille mais je crois qu’il serait plus sage de venir ici pour un an au moins, j’ai vu ici quelqu’un qui a ete au Tonkin et était malade en revenant de cet aimable pays – il s’est refait ici.9
J’ai deux ou trois nouveaux dessins et aussi 2 ou trois nouvelles etudes peintes.10
J’ai été un jour à Tarascon, malheureusement il faisait un tel soleil et une telle poussière ce jour que je suis rentré bredouille.11
On m’a signalé à Marseille 2 Monticelli, bouquet de fleurs à 250 fr. et figures. C’etait l’ami de Russell, Mac Knight, qui les y avait vus. J’aurais grande envie d’y aller une fois à Marseilles.
Je continue toujours à trouver les motifs d’ici tres beaux et tres interessants et malgré les contrariétés des frais, tout de même il me semble qu’il y ait une meilleure chance dans le midi que dans le nord.
Si tu voyais la Camargue – et bien d’autres endroits – tu serais comme moi très surpris de voir que cela a un caractere absolument à la Ruysdael.
 1r:4
J’ai un nouveau motif en train, des champs à perte de vue verts & jaunes que j’ai deja deux fois dessiné et que je recommence en tableau12 absolument comme un Salomon Konink, tu sais l’eleve de Rembrandt qui faisait les immenses campagnes plates.13
Ou c’est comme du Michel ou comme Jules Dupré mais enfin c’est tout autre chose que des jardins de roses. Il est vrai que je n’ai parcouru qu’un côté de la Provence et que de l’autre côté il y a la nature que fait par exemple Claude Monet.14
Je suis bien curieux de savoir comment fera Gauguin. il dit qu’il a fait acheter dans le temps chez Durand Ruel pour 35 mille d’impressionistes15 et qu’il espère faire la même chôse encore pour toi.– Seulement c’est si mauvais, lorsque l’on commence à avoir du mal avec la santé on ne peut plus risquer des coups de tête et je crois que ce que Gauguin a maintenant de plus solide c’est sa peinture, et les meilleures affaires qu’il puisse faire ses propres tableaux. Il est probable qu’il t’aura écrit de ces jours-ci, moi j’ai répondu à sa lettre samedi dernier. Je crois que ce serait bien lourd de payer tout ce qu’il doit là et le voyage &c. &c. Si Russell lui prenait un tableau – mais il a la maison qu’il bâtit qui le gêne.16 Je crois que j’écrirai pourtant à cet effet. j’ai moimême à lui envoyer quelque chose pour notre échange et si c’est que Gauguin veut venir alors je pourrais demander avec aplomb. Il est certain que si en échange de l’argent qu’on donnerait à G. on achète ses tableaux au prix actuel ce n’est aucunément de l’argent perdu. Je voudrais bien que tu eusses tous ses tabl. de la Martinique. enfin faisons ce que nous pouvons. Poignee de main, j’espère que tu écriras bientôt.

t. à t.
Vincent

Qu’est ce que le buste de femme de Rodin au Salon, c’est pas possible que ce soit le buste de Mrs. Russell – qu’il doit avoir en train pourtant.–17

Est ce que notre ami Mouries n’a pas un accent magistral. bropaplement il poit douchour encore tu gondjac afeec telloo.a

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