1r:1
Amice Rappard,
Ziehier nog eenigen der gedichten van Jules Breton, als gij ze niet hebt weet ik zeker ze U bijzonder treffen zullen. Vandaag, of liever sedert een paar dagen heb ik een studie geschilderd van het weefgetouw waar ge de teekening van hebt.–1 Ben ook zoekende naar de kleur van den wintertuin. Doch die is reeds een lente tuin – nu.– En is iets heel anders geworden.2

[sketch A]
Gegroet.–

b. à t.
Vincent

Seule3

Les chaumes de velours, sous une poudre d’or
Bordés d’un trait de feu, nagent dans l’ombre grise
Par délà les toits noirs que sa lumière frise
S’incline radieux l’astre de messidor.–

Immense gerbe, il tombe épanchant son trésor
Et le zenith bleu verse une lumière exquise
Sur la route où – parmi les senteurs de la brise
Chante et bondit la ronde au tournoyant essor.

Dans la poussière ardente et les rayons de flammes,
Joyeusement, les mains aux mains, dansent les femmes.
Mais la plus bèlle rêve, assise un peu plus loin;

Elle est là – Seule – et mord sa lèvre maladive,
Et telle qu’on verrait dans un champ de sainfoin
Se crisper et languir la pâle sensitive.

 1v:2
Le chant du soir4

Quand le nuage
Surnage
Laissant flotter des lambeaux d’or
Qu’ouvrant sa gerbe
Superbe
Le soleil verse son tresor;

Pauvres glaneuses
Faneuses
Une riche gloire de feu
Vibre et caresse
la tresse
Ondoyante de vos cheveux.

Le rayon rose
Arrose
Vos vieux haillons trainant leurs fils
Glisse – flamboie
et noie
dans la flamme vos beaux profils.

Puis le mystère
Austère
Tombe et se répand lentement;
Au crépuscule
Circule
La saine odeur du froment.

Le massif d’ormes
Enormes
Brunit ses rameaux emmêlés
Et d’un trait ferme
La ferme
S’accuse au sein vague des blés.

Le feu fait trêve
Le rêve
Se mêle aux effluves du soir;
Le tout s’embrume
Et fume
Ainsi qu’un immense encensoir.

Le troupeau grêle
Qui bêle
S’achemine vers le repos;
Tandis que chante
Touchante
La douce flûte des crapauds.

Puis monotone
Résonne
Tout au loin la cloche à la tour
Et sa volée
Ailée
S’élève et décroît alentour.

La note tinte
Eteinte
Plus pure qu’aux bois lorsqu’encor,
Dans l’ecarlate
Eclate
Au soir le son vibrant du cor.

Aux hautes cimes
Sublimes
Combien je préfère ce lieu,
Cette humble plaine
Si pleine
De l’immense bonté de Dieu!

 1v:3
Nu krijgt ge nog een klein standje – en wel dit – toen ik bij U was dezen winter,5 waart gij tegen “enthousiasme” – ik bedoel, zeidet iets dat Jaap Maris zeide dat enthousiasme ‘’k weet niet wat was – ’t geen hij, n.l. Jaap, goddank zelf niet precies in toepassing heeft gebragt in zijn leven – al moge hij zoo iets gezegd hebben slaande op een of ander speciaal geval – hebbende hij in alle omstandigheden doorgeschilderd. Dan moesten de vogels ook maar niet zingen en schilders niet schilderen als zij behoorden na te denken of ze niet te vurig waren.–
Lees nu Les Cigales – en – ’k zal er maar niets meer bij zeggen.–

 2r:4
L’aube – (à Corot)6

Je suivais un sentier, à l’aube, dans les blés,
Etroit, où l’on se mouille aux gouttes qui s’épanchent
En frôlant les épis alourdis qui se penchent;
Et j’errais évoquant mes rêves envolés.

Ah! qui n’a pas perdu des rameaux étoilés
Comme les saules gris, que les hommes ébranchent
Qui font un bruit si doux quand leurs larmes étanchent
La soif des liserons à leurs pieds enroulés!

Et je sentais mon coeur, d’où je chassais la prose
S’attendrir au rayon discret, pâle & changeant
Comme un arbre souffrant et que la pluie arrose.

Et voilà que, joyeuse – éclate au ciel d’argent
L’alouette qui voit, des brumes émergeant
A l’orient monter le premier flocon rose.

 2v:5
Automne (à Jules Dupré)7

La rivière s’écoule avec lenteur. Ses eaux
Murmurent, près du bord, aux souches des vieux aulnes
Qui se teignent de sang; de hauts peupliers jaunes
Sèment leurs feuilles d’or parmi les blonds roseaux.

Le vent leger, qui croise en mobiles réseaux
Ses rides d’argent clair, laisse de sombres zones
Où les arbres plongeant leurs dômes et leurs cônes
Tremblent, comme agités par des miliers d’oiseaux.

Par instants se répète un cri grêle de grive,
Et, lancé brusquement des herbes de la rive,
Etincelle un joyau dans l’air subtil et bleu;

Un chant aigu prolonge une note stridente;
C’est le martin-pêcheur qui fuit d’une aile ardente
Dans un furtif rayon d’éméraude et de feu.

 2v:6
Soleil couchant (à Emile Breton)8

Des vapeurs aux remous infinis – mer de brume
Où les coteaux voilés ondulent – larges flots
Les villages, perdus comme de noirs îlots,
Emergent, enfonçant leurs pieds bruns dans l’écume.

Tandis que tout se tait, s’agrandit, nage et fume,
Qu’au fond des ravins, seuls, tintent de lents grelots,
Que de rares lueurs, ainsi que des falots
Palpitent, le ciel vibre et tout entier s’allume.

Notre globe muet, sous le dôme vermeil
Prie et rêve ébloui par la magnificence
De l’astre fécondant que le nuage encense;

Et dans ce grand respect, pris d’un divin sommeil
Orbe rouge au milieu de l’aureole immense
Gravement, lentement se couche le soleil.

 2r:7
Yvonne9

Je regardais souvent, le coude à la fenêtre
Les filles revenir de la source à midi.
Yvonne apparaisait, et son geste hardi,
Son haut galbe de loin la faisait reconnaître.

C’était pour le regard une fête, parbleu!
Que de la suivre alors, si droite sous sa cruche,
Quand, relevant sa coiffe en huppe de perruche,
Le vent faisait flotter son souple jupon bleu.

Avec quelle beauté, laissant son humble châle
Tomber en nobles plis que la brise inclinait
Elle étendait le bras, en l’air, et retenait
Son amphore de grès rouge sur son front pâle!

Que ses traits étaient purs! Je ne sais quoi d’amer
Et de charmant errait sur sa lèvre sauvage;
Et comme elle était bien la fille du rivage,
Forte et comme trempée aux souffles de la mer!

Par la rue aux rumeurs banales et narquoises,
Où quelques maigres chiens, craintifs, se font la cour,
Parmi de vils ramas poussés de mainte cour
Au ruisseaux où le ciel reflète ses turquoises,

De la ville rasant les murs gris ou crayeux,
Je crois la voir encore, une main sur la hanche
Sans que de l’urne pleine une goutte s’épanche
Grande et grave passer sans détourner les yeux.

Les cigales10

Lorsque dans l’herbe mûre aucun épi ne bouge
Qu’à l’ardeur des rayons crépite le froment,
Que le coquelicot tombe languissamment
Sous le faible fardeau de sa corolle rouge;

Tous les oiseaux de l’air ont fait taire leurs chants;
Les ramiers paresseux, au plus noir des ramures,
Somnolents, dans les bois, ont cessé leurs murmures
Loin du soleil muet incendiant les champs.

Dans les blés, cependant – d’intrepides cigales
Jettent leurs mille bruits, fanfare de l’été
Ont frénétiquement et sans trêve agité
Leurs ailes sur l’airain de leurs folles cymbales.

Frémissantes, debout sur les longs épis d’or
Virtuoses qui vont s’éteindre avant l’automne,
Elles poussaient au ciel leur hymne monotone
Qui dans l’ombre des nuits retentissait encor.–

Et rien n’arrêtera leurs cris intarissables
Quand on les chassera des avoines et des blés.
Elles emigreront sur les buissons brûlés
Qui se meurent de soif dans les déserts de sables.

Sur l’arbuste effeuillé, sur les chardons flétris
Qui laissent s’envoler leur blanche chevelure
On reverra l’insecte à la forte encolure
Plein d’ivresse – toujours s’exalter dans ses cris;

Jusqu’à ce qu’ouvrant l’aile en lambeaux arrachée
Exaspéré, brûlant d’un feu toujours plus pur
Son oeil de bronze fixe et tendu vers l’azur
Il expire en chantant sur la tige séchée.

 3r:8
Le soir – (à Louis Cabat)11

C’est un humble fossé perdu sous le feuillage;
Les aunes du bosquet le couvrent à demi;
L’insecte, en l’effleurant, trace un leger sillage
Et s’en vient seul rayer le miroir endormi.

Le soir tombe, et c’est l’heure où se fait le miracle,
Transfiguration qui change tout en or;
Aux yeux charmés tout offre un ravissant spectacle;
Le modeste fossé brille plus qu’un trésor.

Le ciel éblouissant, tamisé par les branches
A plongé dans l’eau noire un lumineux rayon;
Tombant de tous côtés, des étincelles blanches
Entourent un foyer d’or pâle en fusion.

Aux bords tout est mystère et douceur infinie.
On y voit s’assoupir quelques fleurs aux tons froids
Et les reflets confus de verdure brunie
Et d’arbres violets qui descendent tout droits.

Dans la lumière, au loin, des touffes d’émeraude
Vous laissent deviner la ligne des champs blonds
Et le ciel enflammé d’une teinte si chaude
Et le soleil tombé qui tremble dans les joncs.

Et dans mon âme emue – alors quand je compare
L’humilité du site à sa sublimité
un délire sacré de mon esprit s’empare
Et j’entrevois la main de la divinité.

Ce n’est rien – et c’est tout. En créant la nature
Dieu répandit partout la splendeur de l’effet;
Aux petits des oiseaux s’il donne la pâture
Il prodigue le beau – ce suprême bienfait.–

Ce n’est rien – et c’est tout. En le voyant j’oublie,
Pauvre petit fossé qui me troubles si fort,
Mes angoisses de coeur – mes rêves d’Italie
Et je me sens meilleur – et je benis le sort.

 3v:9
Les deux croix12

On voit, sur une route au pays de Pontcroix,
En plein ciel, toute neuve, une pompeuse croix
Où resplendit un Christ badigeonné de rose.
Deux ou trois pas plus loin, se tord, navrante chose,
Piteux et relégué sous les buissons d’un mur,
Laissant saillir de l’ombre un horrible fémur,
Penchant affreusement sa tête mutilée
Au milieu de l’ortie à la ronce mêlée
Oublié, l’ancien Christ informe et sans couleur.
Et l’éternel Souffrant, qui calme la douleur,
Rappelle, en cet état, les âpres agonies
De tant de nobles coeurs jetés aux gémonies;
Et le lépreux qui fuit le jour injurieux,
Le mendiant lui-même en detourne les yeux;
Et le poète l’aime.... et la foule qui passe
N’a de regards que pour celui qui dans l’espace
Etend ses bras en croix dans une gloire d’or.
Au crucifié même il faut un beau decor;
A celui-ci l’encens, les voeux et la prière;
L’autre – dans les cailloux, n’est qu’une vaine pierre.
Et cependant quel coeur ne serait pas touché!
Un trou s’ouvrait au mur, et le Christ l’a bouché!
Et l’égout du chemin, de sa fétide haleine
Baigne ses pieds aimés qu’arrosa Madeleine.
Toi dont le crime fut de répandre l’amour,
Lorsque – pour t’en punir, Ponce et Caïphe, un jour,
Sur ta tête eurent mis la couronne d’épines,
o Christ! qu’un paysan de ses mains enfantines,
D’un barbare ciseau par l’amour ennobli,
Tailla dans ce bloc dur; croyais-tu que l’oubli
Oserait te jeter dans un trou de muraille,
Et qu’outrage dernier, l’insultante broussaille
Mêlerait sur ton front, qui saigne et qui bénit,
L’épine de la ronce à celle du granit?

 4v:10
Crépuscule (à Charles Daubigny)13

L’anémone et la renoncule
Ont fermé leurs fleurs de satin
Voici le soir; le crépuscule
Idéalise le jardin.–

Tout sommeille – même la brise
Dans l’enivrement des parfums
Et la couleur devient exquise
Dans la puissance des tons bruns.

Quand la nature se repose
Lasse de jour et de splendeur
Elle ouvre son âme et la rose
Dormant dans l’ombre a plus d’odeur.

Ainsi notre âme se reveille,
Lorsque nos sens sont assouvis
Que des vains bruits frappant l’oreille
Nous ne sommes plus poursuivis.

Le Dieu devient discret et voile
Les inutiles ornements;
Tout s’agrandit voici l’étoile
Le ciel s’emplit de diamants.

La lumière pâle et diffuse
Baigne d’un charme tous les corps
Et la silhouette s’accuse
Par un fil doré sur les bords.

Le mystère à chassé la prose;
Tout nage dans l’air savoureux
Et les lueurs d’apothéose
Emanent des fronts amoureux.

Et quelle fraicheur ineffable
D’amethyste et de gris perlé,
Le zénith verse sur le sable,
A côté du gazon brûlé.–

Un rayon court dans l’ombre grise
Plonge et meurt dans les profondeurs,
Faisant encore, lorsqu’il se brise
Rejaillir de vives ardeurs.

Et les fleurs chuchotent discrètes
Dans l’insaisissable flottant,
Dressant quelques rouges aigrettes,
Dernier effort du feu luttant.

Sur les buissons les éméraudes
Ont une sourde intensité
Les fonds sont bruns; des vapeurs chaudes
Se traînent dans l’immensité.

Par dela les touffes d’érables
Au ciel d’opale et d’or bruni
Plein d’une tendresse adorable
Palpite et tremble l’infini.

oh ferme ta fleur renoncule
Amante du grand jour qui luit
Pour ne pas voir au crepuscule
Le jour s’accoupler à la nuit.

Dans la plaine14

A moi les champs, à moi les blés
A moi les coteaux qui s’embrument
Les faucheuses aux fronts hâlés
Le soir près des feux qu’ils allument!

A moi l’incendescant sillon
Où midi brule le grillon,
A moi, tandis que l’oiseau chante
Dans des flots verts, le vermillon
Du pavot à la fleur penchante.

A moi – loin de vos coeurs oisifs
Pédants – à moi la plaine immense
Quand, la mordant, des feux lascifs
La font ondoyer en demence.

 4r:11
Le retour des champs (à François Millet)15

C’est l’heure indécise où l’étoile
Pâle encor dans la pâle nuit,
Apparaît, scintille, se voile
Et fatigue l’oeil qui la suit.–

Entre les blés et la luzerne
Bordé par les chardons poudreux
Le chemin fauve se discerne
Encor dans les champs plantureux.

Le zénith couleur d’améthyste
Le caresse de son reflet
Inexprimable, que l’artiste
Ne peut qu’appeler violet.

Par la glèbe plane ou penchante
Perdant, retrouvant ses sillons,
Il serpente dans l’herbe où chante
La note grêle des grillons.

Par les talus que le soir dore
Il va sous la clarté des cieux
Ou tinte la cloche sonore
Au village silencieux.

Sous le crepuscule et le hâle
Le paysan deux fois bruni,
Baignant son front dans le ciel pâle
S’en revient – le travail fini.

Il porte la faux ou la bêche
A l’épaule; il va lentement,
Humectant sa poitrine sèche
De brume et d’odeur de froment.–

Il va lentement, à son aise
D’un pas tranquille en sa lourdeur;
Et l’occident, sourde fournaise
Le bronze d’une sombre ardeur.

Sous le toit noir de sa chaumière
Où fume un vague ruban bleu,
Brille un point de rouge lumière
La soupe chante sur le feu.

Sa compagne est robuste et sûre
Et les enfants sont bien portants
L’age vient: que peut sa morsure
Près de l’enfance – gai printemps?

Tel il marche par habitude
Tel il ira jusqu’au tombeau:
Content si par son labeur rude,
Les blés sont lourds et l’orge beau.

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